un projet de François-Michel Pesenti
Théâtre du Point Aveugle - Marseille
création en lien avec Laurent de Richemond (acteur)
avec Peggy Péneau, François-Michel Pesenti,
Frédéric Poinceau (remplacé pour la reprise du spectacle par Yohei Okuda),
Karine Porciero, Maxime Reverchon, Laurent de Richemond
toutes les informations [1]
à propos du spectacle Purge voir aussi :
presse et témoignages / matériaux et références
Peut-être qu’un objet est ce qui permet de relier, de passer d’un sujet à l’autre, donc de vivre en société. D’être ensemble. Mais alors, puisque la relation sociale est toujours ambiguë, puisque ma pensée divise autant qu’elle unit, puisque ma parole rapproche par ce qu’elle exprime et isole par ce qu’elle tait, puisqu’un immense fossé sépare la certitude que j’ai de moi même et la vérité objective que je suis pour les autres, puisque je n’arrête pas de me trouver coupable alors que je me sens innocent, puisque chaque événement transforme ma vie quotidienne, puisque j’échoue sans cesse à communiquer, je veux dire à comprendre, à aimer, à me faire aimer, et que chaque échec me fait éprouver ma solitude, puisque… puisque… Puisque je ne peux pas m’arracher à l’objectivité qui m’écrase, ni à la subjectivité qui m’exile, puisqu’il ne m’est pas permis de m’élever jusqu’à l’être, ni de tomber dans le néant, il faut que j’écoute, il faut que je regarde autour de moi plus que jamais, le monde, mon semblable, mon frère.
Jean-Luc Godard
De spectacle en spectacle François-Michel Pesenti écrit l’histoire d’un théâtre sans concession. Une histoire édifiée à travers une oeuvre composée en alternance de mises en scènes de grands textes classiques et de projets personnels. Parmi ceux-ci, sans doute l’un de ses gestes fondateurs, Le Séjour, un triptyque présenté aux Bernardines en 1989 qui mettait à jour la démarche incontournable d’un metteur en scène que nous avons eu soin de suivre et de soutenir régulièrement. Un cheminement interrompu pendant dix ans, durant lesquels François-Michel Pesenti investissait de grandes scènes internationales. C’est avec l’accueil en 2012 de A sec et la création de Solaris en 2013 que nous retrouvions l’univers de cet artiste hors normes. Dans ce mouvement s’inscrit Purge, dernier opus en cours d’élaboration dans nos murs, avant d’être présenté au public en ce début 2014.
Théâtre des Bernardines, Janvier 2014
Pour dire un peu où en sont les choses, l’objet de ce spectacle est, tout au long de sa durée, une scène vide.
Un personnage invisible y règne : une pièce pour piano et quatuor à cordes diffusée par quatre haut-parleurs dans son intégralité.
Pour l’instant pas d’autres évènements à rapporter.
Pourtant je dois dire ici que sur cette scène blême et légèrement poudreuse, qui voudrait avoir force d’exigence à s’exempter de toute présence humaine, des personnages paraissent, interdits de la nécessité d’être là et ne sachant comment y renoncer.
Toutefois, à mon sens, ce n’est pas là qu’ils sont, là où nous les voyons sur la scène qui leur est, j’en suis sûr, une tour close où ils insistent à être dans une sorte de diffraction du temps commun : un conditionnel que n’annulerait pas le présent.
Il y a peu de eux aux morts, et démis ainsi de toute attente et de tout lien entre eux, ils n’ont pour justifier ce qui semble leurs vies qu’à distribuer les instants de la présence de leurs corps et leurs conséquences, toutes, pour l’heure, inconnues d’eux et de moi.
Voilà, concernant PURGE, ce dont aujourd’hui je m’inquiète.
F-M Pesenti, Juillet 2013
J’ai écrit cette présentation de Purge il y a quelques mois. Aujourd’hui, alors que je vais rencontrer les acteurs pour la première fois j’accepte – j’y suis obligé – que ces quelques lignes désignent encore le projet de ce spectacle.
Or quelque chose est venu. Quelque chose dont je ne saurai rien dire mais qui altère la conscience que j’ai du monde et finalement m’en sépare. Dans quelques jours je ne pourrai penser à rien d’autre, sans savoir à quoi penser, ni comment y penser.
Cet objet que je dois faire, sans forme encore ni définition, je ne le connais pas et pourtant je le reconnais. Ce qu’il exige, ce qu’il vise sous le nom de spectacle, prend peu à peu la place de ce que j’imagine encore être moi..
Le Séjour (1989), Le Corps dans le bois qui brûle (1996), 1949 : if 6 was 9 (1997), Schneeknoten (2001), autant de spectacles que j’ai fabriqués en voulant surtout ne pas faire du théâtre mais rendre compte de cette chose qui aujourd’hui revient, comme un camp d’ombre fondant sur un paysage sans aucune cause météorologique.
Vous voilà donc prévenus. J’espère Purge plus incompréhensible et plus sombre encore que Schneeknoten qui révolta en janvier 2001 la bonne ville de Bâle. De la scène on ne voyait rien, strictement. Du texte on n’entendait rien, à la lettre. L’objet triomphait.
Que tant de signes, harcelants et blessants, prétendent rendre compte de l’intelligibilité de notre monde autorise le théâtre à nous convoquer à la logique de l’obscurité. N’est-ce pas le lieu le plus adéquat pour se rencontrer soi-même ?
Qu’as-tu dit aux acteurs que tu as rencontré hier ?
Je n’ai pas cessé de parler. De la grammaire des mains dans la peinture de la Renaissance, de la représentation de l’objet dans le cubisme, des corps traversés par la loi - celle de Dieu, celle du désir - du Greco, des feuilletages d’identité, des feuilletages de temps, de l’équivalence sur la scène de ces temps, d’un spectacle qui, se fabriquant sans cesse devant les spectateurs, refuse obstinément de naître.
Mais à quoi ça sert de montrer quelque chose qui ne veut pas naître ?
A débusquer ce que nous ratons à vouloir faire advenir des objets.
Il doit y avoir quelque chose que l’on rate dans notre acharnement à produire ? Non ?
(silence) Donc sur scène ils ne s’acharneront pas ?
Vaguement.
(silence) Tu penses à quoi ?
A Ingres, qui peignait des femmes biscornues, des corps improbables.
Encore de la peinture !
La peinture est la vraie histoire de nos corps. C’est la peinture, plus que la loi, qui nous retient d’écraser les vieilles qui traversent la rue. La peinture réactive, ressuscite sans cesse, la figure des hommes dans leur humanité.
Pourquoi ne pas peindre alors ?
Je ne sais pas peindre. Etre metteur en scène c’est plus facile, les corps sont déjà là, avec leur histoire. Et puis aussi, parce que je suis imperméable à la morale j’ai besoin par conséquent d’exemples. Le théâtre rend les choses et les gens exemplaires, là tout de suite, dans l’instant de notre présence à eux.
Purge, ce sera donc quand même du théâtre ?
Non.
F-M Pesenti, 26 novembre 2013
« Pesenti, les magnificences d’un homme blessé »
par Patrick Sourd - Les Inrockuptibles - 16 janvier 2014
Metteur en scène en résistance contre l’establishment, François-Michel Pesenti signe avec brio “Purge”, un manifeste sur l’amour aussi âpre que fulgurant.
Dans le paysage théâtral français, François-Michel Pesenti fait figure d’interdit des plateaux depuis le déconventionnement de sa compagnie en 2011.
Cérémonial d’adieu aux acteurs de sa troupe, son précédent spectacle, A sec (2011) en rendait compte, en forme de baroud d’honneur, alors que le robinet des subventions venait de lui être coupé. Avec Purge, le voici qui renoue avec les sensations du plateau à travers une ultime réflexion sur le statut de metteur en scène et le rôle du théâtre en miroir de ses désirs contrariés.
L’ancienne chapelle des Bernardines avec ses colonnades aux chapiteaux ouvragés est un cadre idéal pour ce festin de pierres. Presque invisible, le travail sur la vidéo de Rémy Lebreton superpose des trames pointillistes à l’architecture du lieu, se joue d’une succession de projections d’ombres et de lumières pour le déconstruire imperceptiblement dans la révélation d’un espace en vibration qui, en perdant sa matérialité, se trouve tout à coup gagné par la toute-puissance de la fiction.
Avec l’élégance d’un Don Juan contemporain osant une fois de plus défier la statue du Commandeur et investir sa demeure, François-Michel Pesenti se retrouve une nouvelle fois présent sur le plateau. Une porte restée ouverte à cour et une autre à jardin lui suffisent pour s’amuser de l’âpre rapport de force qui permet au metteur en scène de dicter sa loi aux acteurs. « Entre », « Sors », « Tombe », « Relève-toi », les ordres sont brefs et sans appel. La mécanique du jeu leur est inféodée sans faux-semblants tandis que les textes sont réduits à des fragments. Tels les éclats d’un miroir brisé, Shakespeare et Genet traduits en arabe côtoient Jean-Luc Godard, Suzanne Joubert et Maxime Reverchon, pour une quête du corps de l’autre toujours remise en question.
Un bras de fer amoureux
Dans une chorégraphie barbare rythmée par une boucle puisée au Piano and String Quartet, signé Morton Feldman (1985), l’union entre les êtres fait bientôt long feu. Tandis que le plateau se vide, que les portes sont refermées, le spectacle bascule dans une empoignade “à bouche que veux-tu”. Un bras de fer amoureux ne réunissant plus que le metteur en scène et un de ses comédiens qui, lui aussi, se refuse à jouer le rôle de la proie consentante pour incarner l’insaisissable support où pourrait se cristalliser le désir.
Avec cette fin digne d’une Solitude des champs de coton revisitée, le spectacle prend les allures d’une autofiction qui pointe le fer au coeur de la plaie du désamour. Alternant les tendres caresses et les coups de poing, Purge compile les bleus à l’âme et s’avère un choc émotionnel sans pareil… Un rendez-vous amoureux aussi intense que profondément cruel.
Patrick Sourd - Les Inrockuptibles - 16 janvier 2014
« Prendre aux tripes »
par Marie Godfrin-Guidicelli - Mouvement - 10 février 2014
Dans Purge, la dernière création de François-Michel Pesenti à Marseille, des textes brûlants et chaotiques trouvent une résonance décuplée dans le mouvement des acteurs.
Comment rendre lisible la nouvelle pièce de François-Michel Pesenti, Purge, pour qui n’a jamais vu son œuvre théâtrale ? Comment dire cette diction fluctuante qui laisse entendre les espaces blancs, les retours à la ligne, les césures des textes ? Comment évoquer son travail des corps qui trouve sa source dans la peinture, voire la ronde-bosse à sa manière de les sculpter en creux ? Depuis toujours, chez Pesenti, seuls les acteurs comptent. Dans À sec, il éprouvait leur intégrité. Aujourd’hui, il les déplace sur l’échiquier comme un marionnettiste, leur aboyant ses ordres inhumains : « vomis », « tombe », « regarde Laurent vomir », « texte »… Et chacun de s’exécuter, fébrile, obéissant. Ombres fuyantes et pourtant consentantes qui acceptent d’être nommées comme à la ville : Peggy (Péneau), Frédéric (Poinceau), Karine (Porciero), Maxime (Reverchon), Laurent (de Richemond). Outre la fascination que peut exercer sur nous cet objet non identifié, nous, complices sans mot dire, finissons l’heure et demie transis de froid : les échappées lumineuses sont rares, l’étau toujours maintenu serré laissant peu d’espace à l’imaginaire. La tension jamais ne se relâche car ce qui se joue ici, c’est l’entre-deux des corps : la parole/le silence, la distance/la confrontation, la mollesse/la rudesse. Et les gestes répréhensibles en bonne société comme de se gratter le nez ou les couilles, de cracher sur le sol… Les textes brûlants et chaotiques – fragments épars écrits par Maxime Reverchon, François-Michel Pesenti, Suzanne Joubert – trouvent une résonance décuplée dans le mouvement des acteurs, millimétré, infime : des yeux exorbités, un déhanchement subtil, des doigts frémissants. Du coup Pesenti force le spectateur à une concentration permanente au risque d’être débarqué en quelques secondes seulement ou de rester à la marge d’une pièce qui ne dit pas son nom. C’est là la force et la faiblesse de son théâtre qui en impose par son sens de l’économie, du geste juste, de la répétition, des va-et-vient minutés par les portes dérobées. C’est là qu’il prend aux tripes, fascinant ; ou agace, abscons. Mais quand un effroi béat masque les visages, au moment de l’errance silencieuse, quand ils semblent plein d’une pensée intérieure et cherchent la bouche de l’autre, quand ils esquissent un semblant de danse puis s’affaissent, quand leurs baisers laissent un goût violent sur les lèvres, on se dit que François-Michel Pesenti a encore beaucoup de choses à nous dire. Une parole dont il convient, pour l’entendre, de savoir attraper le geste elliptique et la note suspendue : « Amant ou frère ou père et fils, ou quelque chose que l’on ne sait pas encore. Mais un ».
Marie Godfrin-Guidicelli - Mouvement - 10 février 2014
« purgé de quelque chose d’indéfinissable... »
par Pascal Bély – Le Tadorne - 01 février 2014
Cap sur Marseille où « Purge » de François-Michel Pesenti me fait l’effet d’une douche revigorante, tel un retour aux fondamentaux. Ici point d’histoire ; à peine un dispositif. Juste des acteurs, des comédiens, des femmes et des hommes avec leurs hauts et leurs bas qui filent. Ils entrent et sortent pour créer le jeu de l’amour et du hasard. Je ne perçois que le corps de l’acteur dans toute sa puissance évocatrice. C’est parfois brut, souvent habillé de textes complexes et de réponses d’acteurs aux consignes données par François-Michel Pesenti lui-même, homme-orchestre pour baguette tragique. J’ai ressenti la puissance de ce que le théâtre peut faire : m’embarquer loin, très loin, sans violence, mais avec détermination. Me débarquer sur la rive pour que je saisisse un geste, que j’entende une évocation, que je construise un lien. Car ce théâtre n’est peut-être que cela : le lien entre l’acteur et le spectateur, débarrassé du narratif pour que s’écoute ce qu’il se joue.
Les acteurs sont exceptionnels (Peggy Péneau, Frédéric Poinceau, Karine Porciero, Maxime Reverchon, Laurent de Richemond). Chacun d’eux est une composante de mon rapport au théâtre, expliquant pourquoi je me suis tant accroché à eux !
En quittant les Bernardines, je suis habité. C’est dedans, c’est profond. Je me ressens un homme honnête, presque purgé de quelque chose d’indéfinissable. François-Michel Pesenti fait ce travail unique et remarquable : celui de raviver la conscience du spectateur. Le théâtre n’est que travail. Sur soi. Pour que vive l’acteur.
Pour que nos corps utopiques s’incarnent.
Pascal Bély – Le Tadorne - 01 février 2014
« Six personnages en quête d’hauteur »
par Joanna Selvidès - Ventillo - 22 janvier 2014
Créé l’an dernier à la Friche, A sec devait être le dernier spectacle de François-Michel Pesenti. L’urgence semble avoir rattrapé l’artiste, pressé de « mettre en scène des corps qui ont déjà leur histoire » et dont il se fait le maître d’un jeu bien étrange.
Le plateau, nu. Les lumières, crues. Le noir, pur. Parfois, les sons d’une sonate de Morton Feldman interviennent, comme dans Le Mépris de Jean-Luc Godard.
Un curieux charabia s’échappe de la bouche d’une comédienne — belle, blonde. Les comédiens entrent et sortent, de tous âges, de tous sexes, de tous corps. Seul un homme reste, face au public : le Projecteur, comme un coryphée silencieux. Il est peut-être le chef d’orchestre de ces corps qui entrent. Ici, point de personnages. Des tentatives, des essais jamais achevés, a priori sans queue ni tête. Ce dispositif permet d’observer ce que veut montrer François-Michel Pesenti : les relations pour elles-mêmes.
Des textes, oui, un peu, pris de-ci de-là dans ceux de Suzanne Joubert, dont l’écriture simple et profonde permet de s’ancrer, de respirer, de créer du sens.
Deux femmes (Karine Porciero et Peggy Péneau) et quatre hommes (Laurent de Richemond, Frédéric Poinceau, Maxime Reverchon et Pesenti lui-même) entrent, se déchaussent, se portent, appellent l’épervier (sic), travaillent leur corps et leurs déplacements sous les indications de l’homme derrière le pupitre. Vu comme ça, on se dit qu’il n’y a pas grand-chose à voir. Mais c’est peut-être tout l’inverse… Alors, on scrute, on ne s’attend à rien, on cherche à comprendre, puis on abandonne. On se remet à chercher avec les acteurs qui eux, tentent de répondre aux injonctions. On guette. Va-t-il vraiment se passer quelque chose ? Face à ces acteurs, au sens le plus noble de ce métier, le spectateur s’implique et ne lâche pas prise.
Plus réflexive que la précédente pièce de Pesenti, Purge met à nu les méandres de la création théâtrale, par l’exposition pure et simple du jeu, ici au centre de l’œuvre.
Joanna Selvidès - Ventillo - 22 janvier 2014
« François-Michel Pesenti dépouillé jusqu’à l’os »
par Agnès Freschel - Zibeline - 10 février 2014
François Michel Pesenti poursuit son travail de dépouillement, voire d’apuration, de la représentation. À sec nous disait-il dans sa dernière création, jusqu’à l’os, avant de pratiquer la Purge. Sur scène des acteurs se succèdent avec des presque rien, des gestes, des poses qui pausent et reprennent, des textes aussi un peu, qui tournent en rond, ou décrivent, redondants, les gestes qu’ils font en vain. Rien n’est vraiment dit, sinon l’impossibilité de dire, et de faire autre chose que ce rien. Frédéric Poinceau tout du long reste là, face public, immobile ou presque, montant parfois simplement les bras comme pour se dégourdir. Puis le metteur en scène entre dans le jeu et donne sèchement des indications d’entrée, d’arrêts, de vague action. Qui ne disent pas plus de choses. La musique intervient, parfois, belle, un faux épervier évoqué puis dénié, des incongruités souvent drôles. Ça se déroule comme ça jusqu’au bout et sans ennui, jusqu’à la scène finale, écrite par Suzanne Joubert, qui enfin introduit de la relation : F. M. Pesenti se jette sur F. Poinceau pour l’embrasser violemment, le saisir. Lui s’échappe, revient à son tour à l’assaut, et fait rendre gorge à son agresseur, qui avoue enfin, emprisonné dans un embrassement qui se fait tendre, l’amour, la promesse, le désir.
Retrouver l’autre et le dialogue, au terme de la purge ?
Agnès Freschel - Zibeline - 10 février 2014
« Les Frères Jacques et l’alcoolique, l’ordre et le chaos, la sexualité de l’inconnu »
par Paul-Emmanuel Odin - La Vie Manifeste - 15 janvier 2014
Le précédent, déjà, était un adieu à la scène, avec une convocation ultime de ses acteurs fétiches (À sec). Et là encore, Pesenti recommence et déclare que Purge est son dernier spectacle, qu’il n’en fera plus après. Quand les frères Jacques ont annoncé qu’ils quittaient la scène et qu’ils faisaient leur dernière tournée, on pouvait s’attendre à ce qu’à la fin de l’année de l’annonce on ne les revoit plus. Mais en fait, pendant dix ans ils n’ont cessé de faire leur dernier show, chaque fois c’était le dernier ; du coup l’annonce se révélait n’être qu’un précédé publicitaire. De même, comme le dit Deleuze, un alcoolique prend toujours un dernier verre, et le dernier verre appelle toujours un autre dernier verre après. Y a-t-il alors un jeu fallacieux chez Pesenti, un effet d’annonce qui serait mensonger ? Que peut faire d’autres Pesenti, sinon d’autres spectacles ou d’autres expériences théâtrales expérimentales redoutables comme tout ce qu’il fait depuis si longtemps et qui a marqué l’histoire du théâtre à jamais ? Il faut alors énoncer pourquoi cette annonce nous dérange et participe d’une posture redoutable, et comment nous rentrons une fois de plus, encore et encore, dans ce processus cruel et pervers auquel nous adhérons pourtant sans honte parce qu’il vient toucher en nous l’impulsion d’une vie qui n’est plus illusoire, qui n’est pas séparée de la mort et du réel, et qu’il y a donc là, au-delà du mensonge qui s’avère à la fois nécessaire et vidé de substance dans son déploiement propre, une expérience irréductible et violente par l’attaque qu’elle fait au factice. Le dernier Pesenti ? C’est mensonger mais ce mensonge nous prend au lieu de stabilité qu’il renverse par son acte. C’est dérangeant aussi parce que nous voulons encore voir d’autres spectacles de Pesenti. C’est aussi, plus profondément, que Pesenti nous met par là devant une expérience terminale, une mort. C’est son côté métaphysique : certains auteurs n’ont jamais ni début ni fin, il n’y a que des milieux, mais lui, chaque geste, chaque parole, chaque spectacle vient toucher quelque chose qui est à la terminal et initial, extrême incandescent et évanouissant au bord du rien, précipice et abîme, néant et fragments épars qui se débattent avec le vide qui les séparent. Ce dernier spectacle se dit dernier et est dernier par la puissance d’anéantissement qu’il mobilise en chaque corps, en chaque mouvement, en chaque immobilité. Ce spectacle est dernier encore parce qu’il met en œuvre une expérience terminale qui bouleverse toutes nos coordonnées Le langage, la raison, la conscience s’effritent, s’effondrent, doivent mourir totalement. C’est cette formidable puissance de destruction du monde présent et établi qui permet de laisser sortir des interstices, des intervalles, des combinaisons de gestes inouïs qui sont totalement nouvelles, inédites, inconnues. Les performances d’acteurs de Laurent de Richemond et Maxime Reverchonsont à ce titre dans Purge certainement des moments rares, que seul le théâtre de Pesenti (comme très peu d’autres metteurs en scène : Claude Régy, aussi par exemple) fait émerger. Gestes insensés, hallucinatoires, combinaisons nouées qui éclatent et étouffent en même temps. Scintillements invisibles et infimes, frétillement qui ne peuvent jamais se libérer dans un spasme libérateur, mais qui parcourent les corps et font des grains de sable dans une mécanique dérisoire. Des rires sous capes viennent surprendre notre perception intérieure par à-coups, éclairs brisés parce que toute cette mascarade est si bien réglée qu’elle se dénonce comme une apparence et une illusion et, puisque tout le monde y est empétré, il faut se résigner à ce qu’un ordre implacable coexiste avec un chaos incessant. Purge, s’il est dernier, n’est pourtant pas le spectacle le plus désespéré ou le plus noir de Pesenti, loin de là. La mécanique répressive y est relativement moindre (la scène où Pesenti lui-même soumet les acteurs à des ordres, des gestes répétés, plus ou moins humiliants, où éclatent secrètement des rébus, celui de ces corps qui se tapent le cul par terre par exemple, ou ces chutes incroyablement réglées où coexistent la puissante structure d’un même mouvement dans sa torsion et la courbe descendante du poids qui rabat le corps en bas dans son affaissement et sa grâce. Et surtout, puisque l’acteur Frédéric Poinceau demeure pendant toute la première partie du spectacle dans une pose immobile et statufiée, sous une apparence de gay viril quasiment militaire, on sera désarçonné par cet étrange duo final avec Pesenti où se dessine une relation homosexuelle qui est mise en acte au plus près d’une ambiguïté entre fiction et réalité. La mise en scène et l’improvisation qu’elle contient comporte une sorte de viol infrapsychique d’une violence étonnamment douce, troublante, où la portée du désir va jusqu’ouvrir des lézardes hors de toute conception connue de l’amour, à propos d’une relation qui ne serait ni celle d’un amant avec un amant, d’un père avec son fils, mais une relation d’un type inconnu. À l’époque du mariage homosexuel et de sa publicité, c’est en ce creux secret que travaille un doute, l’oscillation d’une ouverture et d’une fermeture de l’inconscient. C’est plus qu’un questionnement sur le désir, c’est une mise en acte dans le vivant des paradoxes du désir loin des immobilisations symboliques, et cela est plus que jamais nécessaire, dans cette exigence et cette impossibilité du dernier Pesenti.
Paul-Emmanuel Odin - La Vie Manifeste - 15 janvier 2014
témoignage
par Gilbert Traina - Facebook - 22 janvier 2014
Pendant longtemps j’ai pensé a "Détruire, dit elle" de Duras... A ces gens "d’après le sommeil"... D’après le tout. Le tout perdu. Le tout fini. Après le "bon maintenant qu’est-ce qui nous reste"...
Et puis le purgatoire. Avec encore les portes ouvertes de chaque coté de la scène... Une a cour, une a jardin... La vie qu’on a quitté et l’éternité (peut être) qui nous attend... Ou juste la coulisse... Au choix...
Entre les deux portes : le plateau. Et ces interprètes sans plus de rôles... Sans plus de consignes. Juste la parce que nulle part ailleurs ou aller. En attente. En errance. Parfois Pesenti donne une consigne claire, concrète : tombe... Et l’interprète tombe. Ou : sort. Entre. Texte...
Parfois une consigne irréalisable : dire les os... Sans un os mais dire les os... Dire le sol... Sans plus de sol mais Dire le sol...
Que reste t’il quand on veut se lester de tout... Des bribes de textes, d’émotions, des séquelles de gestes, des tentatives de rapprochement sans même plus savoir pourquoi on voulait se rapprocher... Un purgatoire sans fin dont on aurait oublier la fonction réparatrice... Un purgatoire sans foi, sans croyance, sans religion...
Et puis les deux portes se referment laissant un homme sur scène. Un homme et son metteur en scène... Un homme qui ne veut pas sortir. Qui veut ressusciter... Un résistant perdu d’avance... Et la on pense a "Dans la solitude des champs de coton" de Koltes... Et de cette dernière tentative entre l’homme et son marchand. Ici, prêt a lui arracher la vie dans un baiser forcé...
Ressortir troublé... Avec l’envie, malgré tout, de continuer a tenter une errance active... Même s’il n’en restera plus rien quand je serai a mon tour dans cette pièce vide...
Pesenti arrive a créer une étrangeté incroyable... Quand il monte sur scène pour prendre la parole, pour tenter de dire a son tour, il a la délicatesse et la pudeur de le faire dans un coin sombre du plateau, de trois quart dos, face au plateau, face a ses interprètes... Histoire sûrement de ne pas nous imposer ses questions, mais de les lancer au plateau, et de voir si, par hasard, le theatre lui répondra...
Et de faire de l’acte théâtral un acte au présent sans objectif de forme marchande. L’important est ce qui se passe, et pas ce que ça deviendra...
Touché...
Merci...
(Les acteurs sont incroyables)
Gilbert Traina - Facebook - 22 janvier 2014
témoignage
par Marcelle Basso - envoyé par mail - 27 janvier 2014
Bonsoir François
Je me doute bien que tu as dû sortir épuisé de ce nouveau défi...
En tout cas c’est magnifique et cela laisse des traces très profondes.
Passé le stade de l’éternelle tragédie, lancée en arabe par une Karine hissée à l’extrême pointe d’elle-même, vient toute une série de beaux moments d’humanité, pas spécialement magnifiée mais d’autant plus touchante...
Maxime avec sa main obstinée d’écrivain, Peggy toujours très concrète quoi qu’il arrive, dans l’humour et la légèreté des choses, même quand il lui arrive d’avoir" vêlé" et qu’elle appelle à la rescousse une certaine Marcelle qu’on sent proche et lumineuse, et puis Laurent aussi, abîmé par la vie, preque laissé pour compte et qui se rattrape en se jetant dans une danse de derviche aux petits pas perdus, suivis d’une folle diatribe à la mesure de sa discrétion - voire quasi ommission - précédente...
Alors déboulent tous ces portés d’amour qui racontent tellement ce moment merveilleux où on laisse faire la chose, où l’on s’abandonne dans la chute ou la lévitation, c’est si indécidable.
Avec juste la voix de Beckett, pour rappeler, imperturbable , à la loi de la géométrie et de la stricte présence matérielle des corps, des os, d’un buste émergeant du néant (porté par l’autre, c’est à dire toi, ça marche et c’est un surgissement)...
Il est vrai que la chapelle joue pour vous, qu’elle donne à tout la dimension de la peinture italienne, des Giotto et Masaccio et Léonard et Michel-Ange. et que quoi qu’on fasse on ne peut jamais renier tout à fait ses origines...
Et enfin c’est le moment pasolinien, tellement inattendu parce qu’après la longue tension établie par le quatuor, il redonne place à la vibration de l’instant, à ce qui remue et bouscule dans la spontanéité maintes fois réitérée du désir et de son refus avec in fine l’acceptation légèrement hypocrite de l’autre et le coup de poing fatal de la solitude qui tranche.
Un grand coup de chapeau pour toi, pour ton engagement absolu d’acteur dans cet instant où tu décides de livrer quelque chose de toi - radicalement ( alors tu fais penser à Chéreau acteur, sur un plateau) et pour Frédéric qui a su t’accompagner si loin dans ta folle et irrépressible déclaration d’impossible amour.
Un Frédéric que je salue aussi pour sa constance stoïque et sa belle présence abstraite de mât du navire gardant le cap à travers les intempéries...
A la fin des comptes, je souffre pourtant de ne pas être là -après tout ce qui s’est passé- histoire de ramener un peu de paix en rapportant tout cela aux étoiles (...)
Ces quelques paroles de Jacques Lacan parlant à Marguerite Duras à propos du Ravissement de Lol V Stein :
"Car la limite où le regard se retourne en beauté, je l’ai décrite, c’est le seuil de l’entre-deux-morts, lieu que j’ai défini et qui n’est pas simplement ce que croient ceux qui en sont loin : le lieu du malheur.(...)
Sans doute ne sauriez vous secourir vos créations, nouvelle Marguerite,(contrairement à Marguerite de Navarre, celle de l’Heptameron), du mythe de l’âme personnelle. Mais la charité sans grandes espérances dont vous les habitez n’est-elle pas le fait de la foi dont vous avez à revendre, quand vous célébrez les noces taciturnes de la vie vide avec l’objet indescriptible."
Marcelle Basso - 27 janvier 2014
témoignage
par Agnès Berteloot - envoyé par facebook - 05 février 2014
Ce n’est que le matin en roulant ma cigarette que les larmes sont tombées grosses mouillées pleines ce ne fut qu’un instant j’avais vu L’AMOUR la veille. Je l’ai rebaptisé car PURGE c’était avant.
Dans toute Œuvre il y a un vocabulaire et cette œuvre inaugure un nouveau vocabulaire. Elle accouche sans le nommer de ce vocable. Finies les fioritures. Il n’a pas vomi sur le plateau. Clinique le plateau Vierge le mouchoir. Le plateau dernier lieu d’une réconciliation possible et d’une mise à mort tragique.
J’ai vu se distendre les ligaments croisés du Genou du metteur en scène et dans cette distorsion j’ai vu le vocable nouveau advenir.
Identités sexuelles confuses, page aux ballerines chair et aux grosses couilles marron comme une promesse sûre.
Et puis il y a l’Autre, l’Amant de la rue. La nécessité et la marge. Le trottoir de la nuit et la fange . Récurrence de l’impétuosité du désir et du mal. La figure de l’acteur. Le témoin et le crime.
Je ne parlerai pas des femmes ce sont des filles des filles qui s’y prêtent des filles de Jérusalem
Catherine n’était pas. Entre vous. Entre nous. Définitivement.
Agnès Berteloot - 05 février 2014
Note d’intention de François-Michel Pesenti (Juillet 2013) [2]
Note d’intention de François-Michel Pesenti (Novembre 2013) [3]
Monologue de Laurent de Richemond [4] « caviardage » à partir d’un texte de Michaux
Monologue de Karine Porciero [5] en arabe, d’après Genet et Shakespeare...
Monologue de Maxime Reverchon [6] un texte écrit par Maxime Reverchon
Monologue Peggy Péneau [7] d’après un texte de François-Michel Pesenti
Samuel Beckett - Cap au pire (extraits) [8]
la section 25 - FMP et les acteurs (deuxième partie du spectacle) [9]
scène finale [10] entre François-Michel Pesenti et Frédéric Poinceau
« les gens sont formidables » (scène Karl-Gunter) un texte de Suzanne Joubert
Morton Feldman : Piano And String Quartet, 1985, Aki Takahashi (piano) & Kronos Quartet (strings) Elektra Nonesuch [11]
La peinture...
...parler de la grammaire des mains dans la peinture de la Renaissance, de la représentation de l’objet dans le cubisme, des corps traversés par la loi - celle de Dieu, celle du désir - du Greco, des feuilletages d’identité, des feuilletages de temps, de l’équivalence sur la scène de ces temps, d’un spectacle qui, se fabriquant sans cesse devant les spectateurs, refuse obstinément de naître. La peinture est la vraie histoire de nos corps. C’est la peinture, plus que la loi, qui nous retient d’écraser les vieilles qui traversent la rue. La peinture réactive, ressuscite sans cesse, la figure des hommes dans leur humanité...
Paul Cézanne : Pommes (et poires...) [12]
Le Gréco : Laocoon [13]
Charcot : hystéries... [14]
Michael Schmid : kurt schwitters performed by Michael Schmid / Ursonate [15]
William Forsythe : Solo [16]
Meredith Monk : portrait [17]
Ingmar Bergman : Cris et chuchotements - bande annonce / fragments (vostfr) [18]
[1] Purge
un projet de François-Michel Pesenti
création du spectacle : du 14 au 25 janvier 2014 au Théâtre des Bernardines - Marseille
reprise du spectacle : 16 et 17 octobre 2014 au Théâtre des Bernardines - Marseille
avec :
Peggy Péneau, François-Michel Pesenti, Frédéric Poinceau (remplacé pour la reprise du spectacle par Yohei Okuda de la compagnie Seinendan - Tokyo), Karine Porciero, Maxime Reverchon, Laurent de Richemond
textes : Fragments épars de Suzanne Joubert, Maxime Reverchon, François-Michel Pesenti
mise en scène, scénographie et costumes : François-Michel Pesenti
collaboration dramaturgie : Christelle Harbonn
assistanat à la mise en scène pour la création : Maëlle Charpin
musique : Morton Feldman, Piano And String Quartet, 1985, Aki Takahashi (piano) & Kronos Quartet (strings) Elektra Nonesuch
Rôdeur : Alain Fourneau
Lumière : Marc Vilarem
Son : Olivier Renouf
Régie Son : Erik Billabert
Vidéo : Rémy Lebreton
Remerciements à : Emma Donelli, Georges Daaboul, et Sarhan Hussein
crédits photos : © Caroline Pelletti / © Jean Barak
Production : Théâtre du Point Aveugle
Coproduction : Théâtre des Bernardines
[2] Note d’intention de François-Michel Pesenti (Juillet 2013)
Pour dire un peu où en sont les choses, l’objet de ce spectacle est, tout au long de sa durée, une scène vide.
Un personnage invisible y règne : une pièce pour piano et quatuor à cordes diffusée par quatre haut-parleurs dans son intégralité. Plusieurs fois la chute brutale de la lumière en interrompra l’exécution.
Pour l’instant pas d’autres évènements à rapporter.
Pourtant je dois dire ici que sur cette scène blême et légèrement poudreuse, qui voudrait avoir force d’exigence à s’exempter de toute présence humaine, des personnages paraissent, interdits de la nécessité d’être là et ne sachant comment y renoncer.
Toutefois, à mon sens, ce n’est pas là qu’ils sont, là où nous les voyons sur la scène qui leur est, j’en suis sûr, une tour close où ils insistent à être dans une sorte de diffraction du temps commun : un conditionnel que n’annulerait pas le présent.
Il y a peu de eux aux morts, et démis ainsi de toute attente et de tout lien entre eux, ils n’ont pour justifier ce qui semble leurs vies qu’à distribuer les instants de la présence de leurs corps et leurs conséquences, toutes, pour l’heure, inconnues d’eux et de moi.
Voilà, concernant PURGE, ce dont aujourd’hui je m’inquiète.
F-M Pesenti, Juillet 2013
[3] Note d’intention de François-Michel Pesenti (26 novembre 2013)
J’ai écrit cette présentation de Purge il y a quelques mois. Aujourd’hui, alors que je vais rencontrer les acteurs pour la première fois j’accepte – j’y suis obligé – que ces quelques lignes désignent encore le projet de ce spectacle.
Or quelque chose est venu. Quelque chose dont je ne saurai rien dire mais qui altère la conscience que j’ai du monde et finalement m’en sépare. Dans quelques jours je ne pourrai penser à rien d’autre, sans savoir à quoi penser, ni comment y penser.
Cet objet que je dois faire, sans forme encore ni définition, je ne le connais pas et pourtant je le reconnais. Ce qu’il exige, ce qu’il vise sous le nom de spectacle, prend peu à peu la place de ce que j’imagine encore être moi..
Le Séjour (1989), Le Corps dans le bois qui brûle (1996), 1949 : if 6 was 9 (1997), Schneeknoten (2001), autant de spectacles que j’ai fabriqués en voulant surtout ne pas faire du théâtre mais rendre compte de cette chose qui aujourd’hui revient, comme un camp d’ombre fondant sur un paysage sans aucune cause météorologique.
Vous voilà donc prévenus. J’espère Purge plus incompréhensible et plus sombre encore que Schneeknoten qui révolta en janvier 2001 la bonne ville de Bâle. De la scène on ne voyait rien, strictement. Du texte on n’entendait rien, à la lettre. L’objet triomphait.
Que tant de signes, harcelants et blessants, prétendent rendre compte de l’intelligibilité de notre monde autorise le théâtre à nous convoquer à la logique de l’obscurité. N’est-ce pas le lieu le plus adéquat pour se rencontrer soi-même ?
(Le lendemain) Ne le fais pas ce dernier spectacle, François, renonces-y. Tu ne sais ni ce que tu veux montrer, ni ce que tu veux dire. A sec était très bien pour en finir.
C’est toujours comme ça que ça commence. Par la disparition de tout.
Qu’as-tu dit aux acteurs que tu as rencontré hier ?
Je n’ai pas cessé de parler. De la grammaire des mains dans la peinture de la Renaissance, de la représentation de l’objet dans le cubisme, des corps traversés par la loi - celle de Dieu, celle du désir - du Greco, des feuilletages d’identité, des feuilletages de temps, de l’équivalence sur la scène de ces temps, d’un spectacle qui, se fabriquant sans cesse devant les spectateurs, refuse obstinément de naître.
Est-ce ça la chose ?
Pour l’instant.
Mais à quoi ça sert de montrer quelque chose qui ne veut pas naître ?
A débusquer ce que nous ratons à vouloir faire advenir des objets.
Il doit y avoir quelque chose que l’on rate dans notre acharnement à produire ? Non ?
(silence) Donc sur scène ils ne s’acharneront pas ?
Vaguement.
(silence) Tu penses à quoi ?
A Ingres, qui peignait des femmes biscornues, des corps improbables.
Encore de la peinture !
La peinture est la vraie histoire de nos corps. C’est la peinture, plus que la loi, qui nous retient d’écraser les vieilles qui traversent la rue. La peinture réactive, ressuscite sans cesse, la figure des hommes dans leur humanité.
Plus que le cinéma ?
Ozu serait arrivé trop tard.
Pourquoi ne pas peindre alors ?
Je ne sais pas peindre. Etre metteur en scène c’est plus facile, les corps sont déjà là, avec leur histoire. Et puis aussi, parce que je suis imperméable à la morale j’ai besoin par conséquent d’exemples. Le théâtre rend les choses et les gens exemplaires, là tout de suite, dans l’instant de notre présence à eux.
Purge, ce sera donc quand même du théâtre ?
Non.
F-M Pesenti, 26 novembre 2013
[4] Monologue de Laurent de Richemond
« caviardage » à partir d’un texte de Michaux
our têt a cssée et té preuze
embre éanti pa acca ou tor, éanti dans un dern déses
tique un ien qui rait
ant à je temple gên plan misé sach au vrai, quell ded
quell ded émê, émê, et mê ssis tell a
mal es troce, mal es troce
mal es troce que ati xa mess orce d’par et grès dmon mal par cide
tan à ir core d’hu endemain m’aller aux ments rances
lpe reute qu’a une ne trême
l’op plein minant, l’op plein immient
s’n’est déjà teint
cepe e lende iste core à la zion issant et déjà bie ce pouvu orté
quell er ?
que je ai bien pêché isé
qu’e ce offr ? qu’e ce onnez ? qu me ra oid xist ?
au sson onne âme
et à te ?
qu ce vou me onn p ma oif ?
qu’ vou éparez ?
[5] Monologue de Karine Porciero
texte en arabe, d’après Genet et Shakespeare...
Laou koumtouan alta lita
Cni wa adasoua fi makanisa aou an agida
wa zidatan ourra garëas aou wardiya
la kina cnya dafat
melsounatoum fia sasatou maouliti
melsounatoum fia sasatou mamati
ya schtasilou kia la hamaëou rourman sani
ip taïdi min souna ! Ip taïdi min souna ayatouga el ëathoira !
Man talaba minki el baëas bijannibi !
Snia mountaliatoun biddamasi fala sra shaian
Snani thnatan zaalika aktharou mimma yambari
Dami Tasabi woufaza el rathayan touzfirou koulaha
An nahou yatawejjabou salleia an attrouka jassadi
Wa hidatan, wa hidatan sa attroukou satta el makan
Ana al safira el mesh zouma
Sa akounou yaa bissa, barida, moutta shaëiëa,
rrawiya, monja hada kaëa diben sarir jii laylaten baaria
Oumthourou illa waji thouma nta siddou min founa
Wan zilou illa el jahim wa arnbirou annani ëadar selthoukoum
Ya ayatoufa elmouthanabaatou el sabirat
mous alinatoum tareiyousa el azamani wel arwel
Srfai jadda ilaki lamisa fissersama
li tajloudi bifatilka anoujoum el abissa el moutamarida
Sa s tamadadou founa li amout
Wel an’ wa bi asnen wazida allaya annouzoulou nazwoua el baout
As allou nafsi zwaifa affhalou zaalik
[6] Monologue de Maxime Reverchon
un texte écrit par Maxime Reverchon
Mon secret bien gardé, qu’est-ce qu’il prouve ?
Qu’est-ce que prouve cette preuve ?
Te la confronter !
Mais rarement, peu.
Que deviennent les mots qu’on a pas dit ?
Trop rarement, trop peu d’amour sans secret.
La preuve parlée, tu pars derechef ou tu me donne une preuve ?
Monstrueux que tu t’imagine pouvoir trouver, à finir de cheminer ça grâce à moi ?
Non. Oui. Si je pense pouvoir finir cela par ce biais là, d’un commun accord sur ce noeud noué tout juste.
Quel est le contrat ? Votre contrat.
Je ne suis pas parti derechef. Je lui confronte que, je ne suis nul par dans la preuve que t’as avancé.
L’un et l’autre de son côté. L’un et l’autre d’un côté, et de l’autre côté, tout est plus ouvert, ça taille la part des choses. De ma preuve sans fondements, je garde maintenant pour sûr le front où nous sommes postés.
Ses mots encore, m’effrayent. Je n’y suis pas. Et tu ne m’y fera pas tenir !
J’y ai renoncé aussitôt dit, aussitôt fait c’est plus à dire. C’était juste quelques mots, et ils n’ont jamais eu cours puisque tu réponds que ça a jamais eu cours que de mon côté.
De ce côté ci. Même si une part des choses se taille, dans cette preuve là à toi, tu tire quoi ? Tu en tire quoi ? Retire, tu retire pas cette preuve de nous ? Elle est taillée par ce que je te confronte, mais qu’est-ce qu’il en reste ?
Dur à dire. Je suis inconscient… une intercation de nous deux ! Et une limite concrète, mise à plat, à découvert… Nous y sommes beaux et … Je pense pouvoir voir ensuite si après ton départ - d’un commun accord, au moins, cette distance là émeut ?
C’est la preuve que tu me demande ?
J’aurais pas du te la dire. Alors seulement, un mot, donné, rendu, repassé, caché, attendu, envoyé, des échanges qui font des voeux.
On en est pas là.
Oui même c’est trop tard pour ça, trop tard et juste après une promesse qui n’a pas eu lieu.
Il aurait fallu que tu partes par toi-même.
Tu m’aurais appelé depuis l’autre côté de ce front où nous sommes postés ?
Peut-être, je n’en sais rien. Qu’est-ce qu’il reste à dire ? J’entends, t’es effrayé de la frontière que je prouve, apeuré de ce qu’il arriverait si, de loin en loin se referme sur toi parti, et moi resté ici, ou l’inverse. J’ai une nausée (crachat), voilà ce qui reste de la part des choses : cette belle frontière émue. Pourquoi tu m’en a formulé la demande ?
Par ce que tu me demandais ce qu’il restait de la part des choses entre toi et moi, retiré de ma preuve de notre précédent amour.
Retaille une part. Non, j’en retire une moi-même.
Oui ?
De ce que ça aurait dû m’émouvoir de nous savoir de front l’un en face de l’autre.
Ça taille ici. C’est que ça pouvait être. Non rien d’ému devant cette frontière.
Qu’est-ce qu’il reste de preuve ?
Je sais pas te dire, tu te ressemble plus. Mais puisque c’est tout seul que je suis là, de si loin, depuis la prière d’une preuve sans fondement, et plus loin que ce fondement, c’est aveugle rien à dire ; et présentement, tu retourne de là bas, et tu te présente,
vieillie, par ce que tu reste, sans faire mine de bien vouloir rester. Je me dis il faut que je parte, ou toi. Je reconnais plus là mon premier amour, taillé comme ça. Tu me renvois, à ta vue, là, derrière, avec ce bout taillé. Où je vais ?
Sûr je continue ce que je fais ici, je marmonnais là derrière. D’ici à là je m’affairais à des bouquets, m’occupe des besoins des morts et m’accroupis comme toujours au jardinage. Je dis accroupis, par ce que tu reste jamais - ému de la beauté tout ça -
assez pour voir ce que je fais. D’autres gestes pour toi, si tu veux te rendre utile tu as pour mission de « sauver » ce bout, je rappelle, mais c’est pas moi qui l’ai dit, ça va d’office avec le bout, moi j’en sais rien. Pour ma part je continue ici à faire ce que
levé tous les matins j’ai l’habitude de faire. Du jardin ou des bouquets, en fonction, ça dépend de la part que je prends à la peine du jour..
[7] Monologue Peggy Péneau
d’après un texte de François-Michel Pesenti
Je suis de l’eau sur de l’eau sur de l’eau.
Oui, à l’entendre, j’entends. Je suis la pouf du cul. C’est à l’avenant de tout. Comme on fait on le dit. Et ça ne passera pas par rien. Pour le coup de l’autre, je ne devrais pas en être. Entendez-vous ? Je ne devrais pas en être. Oh, c’est terrible maintenant que c’est dit. Je n’ai plus rien à dire. Et puis j’ai lu tant de mauvais livres qui iront, en fin de compte, après chacun ajouté à chacun des autres caresser la tête dans le sens du poil : flatter, en somme. Je reste là comme une conne. Même pas une chaise pour m’asseoir. Tant mieux après tout, à tout faire vaille que vaille. Je ne suis, pour qui l’écoute, prise de rien. Et quand elle dit rien, ce n’est pas encore le reste mort-né de quelque chose que je ne saurai dire, putain, putain de vierge, c’est difficile. Marcelle ! Marcelle ma soeur, mon amour, viens, j’ai vêlé. Je veux donner mes enfants, viens, tu t’occupes si bien des morts.
Oh mon Dieu, mon Dieu, je ne suis même pas dans une tragédie, je suis dans une épicerie avec un cancer du coeur peut être. Je ne pourrai plus dormir, si ça se trouve. Peut-être que ça m’est arrivé de retrouver le cancer du sein. Il ne l’a pas fait sur moi. Ni sur moi, ni il ne l’a battu à mort. Je veux qu’on s’embrasse avec un vieux, Marcelle. A jamais. Marcelle, Marcelle mon amour mon amour, la puceresse, si tu savais comme tu me manques. Je vais faire la mouche. Peu. Oh je ne sais pas. Allez, un peu. Bzz bzz. C’est terrible de vie manquer, cet être venu comme tout le monde pour riener, pour riener, riener… A l’assomption, on s’en rend compte, que l’on rienne. A supposer encore qu’à tout prendre, mieux vaut rien que la peine de l’absence d’un autre. Il faut des fleurs pour dire ça. Mieux vaut rien que l’absence de la pensée d’un autre. Maintenant je suis calme. Et je ne veux plus embrasser un vieux. Ah, ça me dégoutte leur menu à 75€. Ça m’aurait disjoncté ! Je n’aurais pas pu le faire. Putain, heureusement, Mère de Dieu, tu m’as léché la conscience. J’en vomis en plus. Je suis fatiguée. Elle disait je suis fatiguée, elle ne sortait pas. Elle restait devant eux, en vérité, elle n’était pas fatiguée de l’abattage, il n’avait pas commencé. Elle insistait sur le dessert. Je suis fatiguée comme une mouche collante en hiver. Ailleurs, pas ici. Sous l’assaut de la neige pégueuse. Toute seule, sous la tombée de la pluie, blanche, glacée, pégueuse. Oh, hélas, hélas, que le vieux me donne la main, qu’il me la prenne, et que tant qu’à faire, il m’embrasse. A tout prendre, pour lui aussi. Que ça chochotte sous la terre, à l’abri du temps. Comme tout le monde avec ses amours. On ne va pas y aller par les chemins, puisqu’il n’y en a plus. A un moment, il n’y en a plus. Ça commence à reculons. Je vais finir la mouche. Dieu, donne moi un linge pour laver mes mains et ma bouche.
Dieu, donne quelque chose. Une fois.
[8] Samuel Beckett - Cap au pire (extraits)
...Rien du bassin jusqu’en bas
Rien que le dos
Tronc vu de dos sans haut ni base
Sur genoux invisibles
Dans la pénombre vide...
...Cette tête dans cette tête
Yeux collés à ça seul
Le crâne incliné
Yeux clos écarquillés
Yeux clos collés aux yeux clos écarquillés...
...Dire des os
Nul os mais dire des os
Dire un sol
Nul sol mais dire un sol...
...Essayer encore
Rater encore
Rater mieux encore
Ou mieux plus mal
Rater plus mal encore
Encore plus mal encore...
[9] la section 25 - FMP et les acteurs (deuxième partie du spectacle)
Peggy
Je m’occupe à mon désoeuvrement, je remets mes cheveux en
place, est ce que je pince mes lèvres maintenant ?
Oui.
Laurent
Je fais semblant d’être apaisée, comme après avoir fait un choix.
Un bon choix.
Mes jambes, je les frotte l’une contre l’autre, comme par grand
froid.
Karine
Sors Peggy
Une femme au mur du lointain assise les jambes écartées la tête
dans ses mains.
Assise la tête dans ses deux mains.
Laurent, appelle l’épervier
Roule
Peggy
Regarde Laurent
Maxime
Regarde Laurent
Laurent
Texte !!
Tu ne veux pas montrer ton visage ? Pourquoi tu as
honte ? Pourquoi, personne ne te connais.
Sors Maxime
Tu ne veux pas me donner la main ?
Tu ne veux pas me donner la main alors démerde toi !
Sors Karine
Tombe
Lève toi
Laurent
Vomis !
Maxime
Regarde Laurent vomir
Sors Laurent
Sors Maxime
Peggy. Texte !!
Bonjour c’est moi.
Oui.
Oui, c’est moi. Ça va ?
Oui.
Tu es là depuis longtemps ?
Oui.
Dehors il pleut, ça n’arrête pas. Regarde moi, regarde moi j’en ai
besoin aussi. A tout à l’heure.
Oui, plus tard.
Sors Peggy...
Peut-être qu’un objet est ce qui permet de relier, de passer d’un sujet à l’autre, donc de vivre en société. D’être ensemble. Mais alors, puisque la relation sociale est toujours ambiguë, puisque ma pensée divise autant qu’elle unit, puisque ma parole rapproche par ce qu’elle exprime et isole par ce qu’elle tait, puisqu’un immense fossé sépare la certitude que j’ai de moi même et la vérité objective que je suis pour les autres, puisque je n’arrête pas de me trouver coupable alors que je me sens innocent, puisque chaque événement transforme ma vie quotidienne, puisque j’échoue sans cesse à communiquer, je veux dire à comprendre, à aimer, à me faire aimer, et que chaque échec me fait éprouver ma solitude, puisque… puisque… Puisque je ne peux pas m’arracher à l’objectivité qui m’écrase, ni à la subjectivité qui m’exile, puisqu’il ne m’est pas permis de m’élever jusqu’à l’être, ni de tomber dans le néant, il faut que j’écoute, il faut que je regarde autour de moi plus que jamais, le monde, mon semblable, mon frère.
Texte lu par François-Michel Pesenti
(Jean-Luc Godard - 2 ou 3 choses que je sais d’elle - 1966)
Maxime
Va voir l’épervier, Laurent
Insistant jusqu’à la veulerie, pour servir à quelqu’un, je souris,
crispé de soumission orgueilleuse.
Mes yeux roulent sur le côté pour échapper aux siens. Je fais la
même chose avec tout le monde.
Il ne faut pas me parler, il faut seulement me toucher. A l’endroit
où l’on veut. Je ne m’offusque d’aucun geste. Je suis là pour ça.
Maxime, va chercher la viande pour l’épervier
Karine
Là.
Peggy
Sors Maxime...
Laurent, aboie !!
Laurent, sors...
Karine, texte !!
Vous le connaissez ? Il est toujours là.
Non, je parle aux gens comme ça, c’est un exercice.
Vous ne le connaissez pas ?
Non. Vous voulez que je vous embrasse ?
Non.
Vous savez, ce n’est pas par lesbiennerie.
Non, non, je sais.
Oui, vous savez.
Pourquoi il pleure ?
Oh, nous sommes tous très fatigués.
Vous pleurez aussi, comme lui ?
Non, c’est vrai, mais ça ne se voit pas.
Vous avez vu la maman et la putain ?
Vous savez, je ne connais personne ici.
C’est un film. C’est le nom d’un film de Jean Eustache.
Je n’ai pas d’argent pour aller au cinéma.
Vous faites quoi ici, vous attendez un taxi ?
Je n’ai jamais pris un taxi. Laissez moi vous embrasser.
Ne me touchez pas.
Sors Peggy...
Karine, tombe !!
Sors Karine...
Que faire de ceux qui vivent leur vie à part de nous ? Où les
ranger ? Où les faire attendre ?
Des morts aux Noirs, des Noirs aux pauvres, des pauvres aux fous.
Leur tournant à le dos, les laissons nous travailler à une ou
plusieurs choses, qui ne nous concernent pas mais qui seraient
dangereuses pour nous, parce que vitales pour eux ?
Ou alors, est-ce dans ce monde-ci, que nous croyons habiter tous
ensemble, que chacun peut y être à la condition que tous les autres
en soient déjà partis, ou pas encore arrivés, ou jamais été ? Ou n’y
seront ?
Karine
Tombe
Maxime
Laurent
Laurent remporte la viande, il n’y a pas d’épervier.
Karine : Mais Laurent dit qu’il a chié !!
Karine, sors.
Laurent
Karine
Laurent a vomit tout à l’heure, il faudrait nettoyer.
Peggy
(Karine entre avec du sopalin dans chaque main)
Tombe.
Sors Maxime
Karine, sors
Laurent, sors (il ne sort pas)
Maxime, sors
Peggy, sors
[10] scène finale entre François-Michel Pesenti et Frédéric Poinceau
scène Karl-Gunter / « les gens sont formidables » un texte de Suzanne Joubert
Arraché la tapisserie et le vernis des portes et la moquette et les fils électriques et la toile cirée et la chemise et les albums de Joy Division et l’air vide et le bruit de l’ascenseur et les disputes des voisins de palier et l’attente et les fuite du lavabo et la fiente des oiseaux sur les carreaux.
Arraché les fuites du lavabo et l’absence de courrier sous la porte et le trafic qu’on n’entend pas et l’odeur des urines et le silence et l’aboiement du chien et le chien.
J’ai arraché le chien. Ses tendons et ses yeux pendent là à mes pouces.
Je ne laisse rien derrière moi.
Salut.
Salut.
On y va ?
Oui, on y va.
Tu ne dois plus venir ici. Tu ne peux pas te tromper dans ce que tu as à faire. Tu n’as rien à faire. Tu comprends ? Oui tu comprends. C’est quoi ces traces sur le visage et les bras.
Je ne veux pas rester seul.
Je veux voir le ciel et penser avec les autres qu’il est clair.
Je veux avoir le sens des choses très exactement.
Tu perds le fil.
Tu as fais quoi avec tes mains.
J’ai soif.
Je veux ressusciter.
Je veux être à nouveau parmi vous.
J’ai soif.
Tu n’es plus rien et tu n’as plus rien qui fait que tu sois quelque chose.
Tu n’as plus de poumons ni de colonne vertébrale.
Tu ne peux plus mettre ton pantalon tout seul.
Et tu veux…
Ressusciter.
Viens vers moi. Serre moi contre toi. Là.
Nous ne faisons plus qu’un.
Répète.
Nous ne faisons plus qu’un
Amants, ou frères, ou père et fils ou autre chose qu’on ne sait pas.
Répète.
Amants, ou frères, ou père et fils ou autre chose qu’on ne sait pas.
Mais UN.
Répète.
Mais UN.
[11] Musique de Morton Feldman / Piano And String Quartet, 1985, Aki Takahashi (piano) & Kronos Quartet (strings) Elektra Nonesuch
[15] Michael Schmid : kurt schwitters performed by Michael Schmid / Ursonate
[16] William Forsythe : vidéo Solo
[17] Meredith Monk : vidéo portrait
[18] Ingmar Bergman :
vidéo Cris et chuchotements - bande annonce vostfr
Ingmar Bergman :
vidéo Cris et chuchotements - fragments vostfr