François-Michel Pesenti
Théâtre du Point Aveugle - Marseille
création en lien avec Laurent de Richemond (acteur)
une lecture du texte de Suzanne Joubert
mise en espace par François-Michel Pesenti
avec Peggy Péneau, François-Michel Pesenti, Frédéric Poinceau,
Karine Porciero, Maxime Reverchon, Laurent de Richemond, Marcelle Basso, Agnès del Amo, Henriette Palazzi, Laetitia Planté, Suzanne Joubert
Ce texte, jusqu’à aujourd’hui sans titre, a été écrit en 1992, spécifiquement pour onze acteurs de Marseille dont il se voulait une sorte de portrait imaginaire. Pourtant Les Gens Sont Formidables n’est pas une pièce mais, informe, le texte ne prétend qu’au théâtre. Il n’a jamais été joué dans son intégralité puisque, pulvérisé et dénaturé par les fragments d’autres textes de Claudine Galléa et Christine Angot (les deux autres auteurs de la commande), il s’est dissout dans cet étrange spectacle qu’était Conversation Pieces : Les Gens Sont Formidables (1993).
Chaque bouche s’accaparant l’oreille d’un autre dans un présent perpétuel et statique comme une condamnation, des gens parlent, toujours à l’orée d’une nécessité, comme étouffant des règlements de comptes anciens dont nous ne saurons rien. On pourrait craindre, avec raison, qu’il ne s’agisse là que de bavardages, tant tout ce qui doit se passer sur une scène persiste, ici, à ne pas advenir. N’était l’insistance manifeste, déjà au travail chez Marivaux, de faire - pardonnez moi l’expression - « chier l’autre » à défaut de pouvoir le faire jouir.
Vingt ans plus tard ils parlent encore, cernés par le même vide et, soumis à la mise en scène de soi que la parole autorise, contraints à la même obstination de paraître en vie. Ils ne vont toujours nulle part - comme les personnages du Charme Discret de la Bourgeoisie de Buňuel - ils le savent et, loin d’en souffrir, ils espèrent que cette immobilité durera le plus longtemps possible. En cela nous ressemblent-t-ils ?
Peut-être Joubert a-t-elle écrit le théâtre que nous méritons. Celui qui nous raconte nous abandonnant avec conviction à nos poses et à nos images, feignant des affects que nous avons appris à la télévision. Ayant refourgué à d’autres, comme une manne, les oripeaux de nos tragédies, nous voici purifiés de tous nos drames. Nous pouvons alors, enfin, nous consacrer entièrement à notre ultime raison d’être : les panaris de nos âmes.
François-Michel Pesenti - Juin 2014