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Partitions Textuelles - compagnie soleil vert

Partitions Textuelles

Laurent de Richemond

- ce que j’ai appris « par coeur » et joué devant un public
(le tout sans ponctuations, ni mise à la ligne)

Schnell, Schneller [1] / Victor [2] / Les Gens Sont Formidables [3] / Le Bouc [4] / Purge [5] / Shadoks Forever [6] / L’Homosexuel [7] / Les Larmes Rentrées [8] / L’Étang [9]

(page en cours d’inventaire et de construction...)



[1Schnell, Schneller

Venise Venise Venise Nous pensions qu’il y avait un recours possible qu’on ne mourait pas comme ça qu’on ne pouvait pas regarder sans rien faire un autre mourir La mort était ici de plain pied avec la vie La cheminée du crématoire fumait à côté de celle de la cuisine Il y avait des os de morts dans la soupe des vivants et l’or de la bouche des morts s’échangeait contre le pain des vivants Je me souviens du premier que j’ai vu mourir Le jour baissait On était à l’appel depuis des heures Deux types qui tenaient une couverture par les bouts sont sortis et l’on posée par terre Quelque chose est apparu sur la couverture étalée Une peau gris noir collée sur des os la figure Deux bâtons violets dépassaient de la chemise les jambes Deux mains se sont élevées de la couverture chacun des types a saisi une de ces mains et a tiré Les deux bâtons tenaient debout Il s’est baissé et on a vu une large fente noire entre deux os Un jet de merde liquide est parti vers nous On ne savait pas quand les deux types étaient sortis qu’il y avait quelqu’un dans cette couverture Et le jet de merde était parti Mille hommes ensemble n’avaient jamais vu ça On ne pouvait pas savoir s’il était mort Peut-être se relèverait-il et chierait-il encore C’était par la merde qu’on avait su qu’il était vivant Je ne regarde pas les étoiles Je sens une pierre qui tombe à l’intérieur de moi Je sens quelque chose qui casse C’est doux de s’abandonner à la mort plus doux qu’à l’amour et de savoir que c’est fini fini de souffrir et de lutter fini de demander à ce cœur qui n’en peut plus Il ne souffre pas Aucune douleur Mais le vide dans la poitrine dans la bouche dans les yeux entre les mâchoires qui s’ouvrent et se ferment sur rien sur l’air qui entre dans la bouche Les dents mâchent l’air et la salive Rien que de l’air dans la bouche dans le ventre dans les jambes et dans les bras qui se vide Il cherche un poids pour l’estomac pour caler son corps sur le sol La faim déforme la figure tend les yeux La figure est creuse et coupée par deux larges rides et par un nez pointu comme celui des morts On se transforme La figure et le corps vont à la dérive les beaux et les laids se confondent Dans trois mois nous serons encore différents nous nous distinguerons encore moins les uns des autres Personne ne sait là-bas chez nous Là-bas on regarde toujours la même photographie photographie qui n’est plus de personne Nous n’avions rien contre eux J’ai été à l’école avec eux L’autre jour encore j’ai retrouvé une photo Mais que pouvait-on faire Personne ne pensait à les exterminer si vous étiez allé dire à n’importe qui en Allemagne nous allons tous les tuer ils auraient dit il est fou Ce qu’on voulait au début c’était un tiers tué un tiers recasé un tiers assimilé Mais le système fonctionnait et parce qu’il fonctionnait il était intangible Aussitôt que les gens étaient dans les baraques de déshabillage qu’ils étaient nus ce n’était plus des êtres humains C’était toujours une énorme masse Ils étaient nus un flot énorme qui courrait conduit à coups de fouet C’était une cargaison La définition du crime doit satisfaire à quatre conditions un sujet un objet une action une intention S’il manque un seul des quatre éléments alors on n’a pas à faire à un crime punissable Si le sujet était le gouvernement si eux étaient l’objet et l’action celle de gazer le quatrième élément l’intention pour moi manque C’était une cargaison A Auschwitz on ne meurt pas on produit des cadavres des cadavres sans mort naturellement en série comme à l’usine Dans cette énorme production la mort individuelle n’est pas bien réussie mais ce n’est pas ça qui importe Ce qui compte c’est la masse On ne combat pas les rats avec un révolver mais avec du poison et du gaz De quelque façon que cette guerre finisse nous l’avons déjà gagnée contre vous aucun d’entre vous ne reviendra pour porter témoignage mais même si quelques uns en réchappaient le monde ne les croira pas Peut-être y-aura-t-il des soupçons des discussions des recherches mais il n’y aura pas de certitude parce que nous détruirons les preuves en vous détruisant Et même s’il devait subsister quelques preuves et si quelques-uns d’entre vous devaient survivre les gens diront que les faits que vous racontez sont trop monstrueux pour être crus Vous n’êtes pas venus ici au sanatorium mais dans un camp de concentration d’où l’on ne peut sortir que par la cheminée Nous le peuple des Seigneurs nous sommes vos destructeurs mais vous n’êtes pas meilleurs que nous si nous le voulons et nous le voulons nous sommes capables de détruire non seulement vos corps mais aussi vos âmes comme nous avons détruit les nôtres Auschwitz n’a jamais cessé d’advenir Auschwitz se répète déjà sans cesse Un événement qui éternellement revient et qui demeure absolument éternellement inassumable Par-delà bien et mal ne se découvre pas l’innocence du devenir mais une honte sans culpabilité et même pour ainsi dire sans temps Une nuit qui touche tout de son givre poitrines et bouches parmi les milliards qui vécurent et moururent Vivants fortuits on apprend vite à être des morts Regardez-les s’ils vivent encore comment ils n’ont pas encore entièrement appris la vie certains ont encore le courage de sourire Regardez-le le fétide petit Juif squelettique dans un remugle d’étrons adossé avec indécence à ses compagnons d’agonie qui regarde encore et a un sourire Il a encore mal appris l’horreur il a encore mal appris le goût d’être martyrisé le frisson du bourreau qui le tue en masse le soubresaut exaltant du sexe à être tué comme s’il n’était pas un homme à sentir au bas ventre la volupté d’être naturellement abject Et les enfants ils croyaient eux que c’était l’affaire des grands regardez-les s’ils vivent encore De petits visages de spectres des chatons ensevelis un horizon de poussières avec les petits ossements épuisés La maison en Bohème ou en Lombardie le piano le jardin de Magnolias Tu naîtras dans une famille différente et l’incertitude sera ton pain Tu mèneras une vie consacrée par ta mère dans la nostalgie de la norme et la norme sera ton pain Tu contempleras un monde réglé par une moralité délicate et la délicatesse sera ton pain En mangeant ce pain ils moururent Regardez-les s’ils sont morts Dans la mort ils conservent en revanche un secret conscient et pur les plaies dans les joues les cheveux attachés comme une laine misérable au crâne les jambes malingres de crabes avec les genoux enflés enlacées avec une confiance répugnante à d’autres jambes malingres enveloppées de chiffons Alors enfin ils parlent ils chantent même Et le chant se répand dans le monde Inutilement toutefois car le monde meurt à son tour il est gagné par tant de chants de mort Ces chants de mort je les écoute par cette nuit où je n’ai plus vingt ans dans le jour qui souffle déjà moi qui revient de ma nuit abandonnée au sexe et si vulnérable par excès de soi devant les ossuaires de la terre que sexe et mort ne sont qu’une exaltation brutale de paix libidineuse je sens sexe et mort soudain geler Se peut-il que la vie ait tant de force Arraché à ma paix je me perds dans une pensée vierge commettre la violence La vie commencera peut-être quand les anges de la résignation les pauvres d’esprit les doux les blessés les malheureux les Juifs les Noirs les garçons les prisonniers les vierges les animaux les pédés les peuples perdus dans la candeur de la barbarie tous ceux qui vivent en se consacrant à l’humiliante différence commettrons la violence Ils ont en eux la même certitude que les morts Qu’est-ce qui interrompt à présent le chant des morts affleurant dans les poussières dans une arrogante gloire d’absents


[2Victor, ou les enfants au pouvoir
de Roger Vitrac

D’abord c’est le fruit de vos entrailles qu’il faut dire Assez Victor J’ai en assez de ces conversations Si ta mère t’entendait Victor enfin Victor tu as neuf ans aujourd’hui Tu n’es presque plus un enfant tu dois être raisonnable Oh Morveux Ah Va t’en ou je t’étrangle Tais toi tais toi je t’en supplie Cet âge est sans pitié Tu vas voir Oui et alors Oh Oh Tais toi monstre Victor Tu ne vas pas casser ce verre Il va le casser Il est fou Mais tu es fou Victor Un si beau vase Je ne comprends rien Petit imbécile Tu l’as fait exprès Comment Tu oses m’accuser de ce que tu viens de faire toi même à l’instant Sous mes yeux Mais je dirai que c’est toi On ne me croira pas Et pourquoi Mais c’est affreux c’est abominable Je ne t’ai rien fait mon petit Victor j’ai toujours été gentille avec toi Dieu du ciel Qu’as tu Tu n’as pas le droit de faire ça Si tu as un coeur tu t’accuseras toi même C’est ainsi qu’agissent les petits garçons loyaux et francs Bouh Ah Si j’avais pu casser le verre seulement Victor Je ne te comprends plus Qu’est ce qui te prend Non Non Je partirai je partirai Je pars tout de suite Victor est devenu fou Ce n’est plus un enfant Et il n’a que neuf ans Il promet le Totor Sale gosse Tu veux me faire chanter Tu me le paieras Oui Madame Non madame C’est pas moi Bonjour la compagnie Madame Madame Bonsoir Charles bonsoir monsieur Magneau Oh il est très joli ce gâteau Joyeux anniversaire Victor Tiens voilà ton cadeau C’est la reine Sakari de la tribu des Kopokopo Alors Victor Mais il est gigantesque On grandit toujours en taille et en sagesse hein Hélas Pourquoi hélas C’en est un Quelle taille as tu Victor Un cuirassier On en fera un cuirassier Moi Allons donc je suis une vache Oh La charmante petite fille Bonsoir Esther Alors on ne veut pas que je sois une vache Que veut on que je sois alors Oui Joyeux anniversaire Victor Je bois à tes neuf ans Victor Aux neuf ans de Victor Bravo Hum il est bon Allons Victor dis nous une poésie Tu en sais bien une que diable Tout le monde sait une poésie Laissez le Thérèse voyons laissez le s’amuser Oh non Oui Une chanson Une chanson Joli duo ces deux petits Grands tous les deux Parions que vous les marierez Oh oui quelle bonne idée jouez aux amoureux jouez au papa et à la maman Ah enfin du spectacle Haha C’est génial Êtes vous souffrant Charles Sans doute une autre crise se prépare Mais qu’avez vous Qu’a t’on ici Les enfants on fait un petit entracte Eh bien comme vous voudrez Eh bien on était si gai Et voilà qu’on pleure C’était très bien joué les enfants N’est ce pas Que la fête continue Volontiers Victor viens sur mes genoux On voudrait te faire plaisir On a neuf ans Qu’est ce qui lui ferait un grand un très très grand plaisir au Totor Tenu d’avance Parole de soldat Quoi Mais non c’est très gentil ce qu’on me demande là Je ne te refuserai pas cette grâce mon cher Victor En selle Allons dragons vite en selle par quatre formez vos escadrons Charles j’ai donné ma parole je la tiendrai et avec joie Heureux si je puis donner à Victor le goût des armes Il a déjà la taille d’un cuirassier À neuf ans songez y vous en ferez un cuirassier Mais non Émilie je vous en prie Je m’amuse follement Oh Oh Pas tout de suite je viens à peine de pondre Hein Quoi Ah Si je jouais un prêtre je dirais cet enfant est possédé du Diable Mais oui Cette petite a raison C’est son anniversaire Victor est un peu énervé Et s’il aime la viande donnez lui de la carnine Lefranc ce fortifiant est souverain Quoi Un canon Charles comme vous y allez C’est inouï Oui Et figurez vous madame qu’avant votre arrivée on me demandait un canon Oui un canon Mais c’était une plaisanterie n’est ce pas Ah ah Quelle histoire Mais madame que fait la médecine Ne peut on rien faire pour vous guérir de ces de ces de cette chose Oh Mais faites le à la fin Madame Paumelle votre fils est perdu Approchez Nous sommes là Oh il fait tout noir là dedans On ne voit rien du tout Ah j’ai attrapé son pied Oui ça respire Ouvrez lui les yeux Une crise Et tenez elle ressuscite doucement Déboutonnez la facilitez la respiration Oh Qu’est il arrivé La pauvre petite Une syncope Vous permettez Et voilà C’est normal C’était si bien joué bonsoir Charles merveilleuse soirée merci et à bientôt Monsieur a sonné Je croyais que monsieur avait sonné Madame et monsieur n’ont besoin de rien Quelle porte Madame ne devrait pas laisser monsieur me parler ainsi Quelle maison Je dis que la porte est fermée mais je ne sais plus laquelle Madame on frappe C’est Madame Magnaux madame Mais qu’est ce qui se passe ici C’était bien la peine de me dire de fermer la porte tout le monde est aux fenêtres Mais c’est la maison du crime Taisez vous Ou je m’en vais moi Bonsoir mademoiselle rassurez vous ce n’est rien c’est madame qui accouche C’est Maria madame Le docteur Riboire madame Madame madame Mais c’est un drame C’est un drame en fait


[3
Les Gens Sont Formidables
de Suzanne Joubert

Partout ça se déchire Mes forces me quittent Je ne veux pas rester seul Je veux voir le ciel et penser avec les autres qu’il est clair ou sombre Je veux marcher sur le trottoir M’arrêter au feu rouge Craindre pour le chien qui traverse Je veux croiser un voisin Je veux être sur le chemin du retour Je veux attendre le lendemain Je veux dire hier pour parler du jour passé Je veux suivre le cours du temps et l’arrêter quand ça me chante Quand ça me chante Pas avant Je veux avoir le sens des choses très exactement Ne pas croire que le lac est un œil humide Que mes jambes sont des racines Ce qui se passe sans moi c’est des souvenirs qui me manquent Je ne veux pas manquer de souvenirs Et aussi je veux m’arrêter de pleurer Je veux essayer en tous les cas car depuis longtemps j’ai perdu l’habitude Je suis là et maintenant Arraché la tapisserie et le vernis des portes et la moquette et les fils électriques et la toile cirée et la chemise et les albums de Joy Division et l’air vide et le bruit de l’ascenseur et les disputes des voisins de palier et l’attente et les fuites du lavabo et la fiente des oiseaux sur les carreaux Arraché les fuites du lavabo et l’absence de courrier sous la porte et le trafic qu’on n’entend pas et l’odeur des urines et le silence et l’aboiement du chien et le chien J’ai arraché le chien Ses tendons et ses yeux pendent là à mes pouces J’ai tout ce qui fait mes jours au bout de mes doigts Je suis parti avec Je ne laisse rien derrière moi Tout est là Et à l’instant je voudrais poser ces bagages Mettre mes mains dans d’autres J’ai soif Mouille-moi les lèvres avec une éponge Quelqu’un a fait ça au Christ et voilà qu’il a ressuscité Je veux ressusciter Je veux être à nouveau parmi vous Je ne veux pas être à l’insu de tous J’ai soif Je veux changer le monde Changer Viens vers moi Serre-moi contre toi Là Nous ne faisons plus qu’un tu vois Amants ou frères ou père et fils ou autre chose encore qu’on ne sait pas Mais UN Répète répète Répète Amant ou frère ou père et fils ou autre chose encore qu’on ne sait pas Mais UN Changer le monde Qui saurait se passer de la bagarre Révolution Je ne peux plus mettre mon pantalon tout seul J’attends que d’autres fassent le geste à ma place Je reste debout Debout et dans l’état où je suis je veille Je suis un veilleur en lambeaux et à part entière J’ai arraché le chien Le chien Maman un deux trois quatre cinq six sept huit neuf dix


[4 Le Bouc
d’après Rainer Werner Fassbinder

J’ai une soif C’est une bonne fille faut lui laisser ça Tu l’as déjà culbutée T’as déjà culbuté avec le respect Vraiment pas hein Etre bien élevé c’est autre chose que de dire merci Elle a raison Moi on m’a rogné mon salaire Parce que rien n’est plus comme avant qu’ils disent Et qu’est-ce que tu fais Tu fermes ta gueule La Plattner Un ouvrier qu’elle a Et ils fabriquent quoi Des pochettes-surprises Je ne ramasse pas le fumier Je conduis le tracteur et une fabrique comme ça je pourrais m’en payer une Nom de Dieu quand va-t-il repasser ce train S’il y avait un bal ici chaque semaine ça irait déjà un peu mieux On en a causé au patron J’y perdrais sacrément qu’il a dit avec sa vilaine gueule Que lui sûr On viendrait des environs si ça se faisait L’orchestre coûte trop cher Ça n’attire personne parce qu’il y en a partout des music-box Et là la salle est trop petite Danser pas question Regarde-le celui-là de quoi il a l’air Avec sa moustache Qu’est-ce que j’en sais moi Tu veux quelque chose eh Tu cherches quelque chose par ici Qui es-tu donc Tu peux pas répondre quand on t’interroge Quelle dégaine l’abruti Cause un peu Cause Je vous le disais Sans doute un Italien Un Rital C’est un Italien c’est tout C’est un Italien ça Je voudrais bien le savoir aussi C’est un Italien ça Exactement Où dois-tu donc aller Où tu vas Parce qu’elle est allée en Italie l’année dernière Et maintenant il rapplique lui Ça va faire des vagues Parce que nous on n’est pas assez bien Un Italien d’Italie Un Italien d’Italie Tu viens maintenant De qui cause-t-on De l’Italien Exactement Et alors Qu’y a-t-il C’est un Italien C’est tout Non Ah bon Mais en Grèce elle n’a jamais mis les pieds Elisabeth C’est quoi Comment Il n’y a donc pas assez de travailleurs ici Un Grec de Grèce Ça ne va pas parce que c’est pas une justice ça Exactement Nous travaillons aussi nous et pas qu’un peu Est-ce qu’il t’a déjà soulevée Elisabeth Où couche-t-il Avec toi Comment ça Il a causé avec toi Non Devant toi Et comment se présente-t-il Comment mieux Où A la Couronne ils ont une télévision maintenant moi j’y vais Je le tiens d’Eric qui le tient de Bruno je crois Cette nuit Elisabeth s’est déshabillée s’est allongée sur le lit et a appelé le Grec Et après Après le Grec y est allé et il est revenu trois heures plus tard et il avait l’air complètement vidé Ça va être le déchaînement maintenant avec les meurs étrangères Et après il l’a violée en plein champ Tu t’es amourachée de lui Je vous le dis il l’a flanquée dans le champ et l’a violée et les autres y passeront à leur tour C’est moi qui le dis Il fraye avec Marie maintenant Celle-là elle peut me lécher le cul longtemps elle n’a que le mariage à la bouche Pourquoi j’irais me marier avec une fille comme ça Elle déconne Et Ingrid Elle elle a tendance à voir haut Elle estime que le mariage ne vaut rien pour elle Parce que ça lui enlève ses chances d’avenir Les sentiments pas trace non plus Ici on ne cause pas on baise Et bien Helga attend un enfant maintenant Elle en est au troisième mois Elle a raconté qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant c’est le docteur qui lui avait dit à Munich et maintenant moi je suis dedans jusqu’au cou Mon père aura son apoplexie s’il l’apprend Quand elle m’a dit ça Helga j’ai cru que j’allais la trucider parce qu’elle fait toujours l’intéressante celle-là Je n’ai rien dit pas un mot Jamais je n’irais dire quelque chose sur ton compte je ne pourrais absolument pas Je n’ai rien dit Rien du tout Moi je ne pourrais jamais causer sur ton compte tu dois le savoir mon amour s’y oppose Mais c’est toujours moi le meilleur Là d’où il vient il y a des communistes Je l’ai lu dans le journal Beaucoup de communistes Exactement La Grèce entière est pleine de communistes Il est communiste et mérite l’interdiction Parce que c’est conforme à ce qui se fait déjà de toute façon Mérite l’interdiction Oser venir par ici un individu de ce genre L’interdiction ça mérite et on va oeuvrer pour D’où es-tu donc en Grèce Quelle ville C’est quoi ça Et du travail il n’y en a pas là-bas Combien gagnes-tu chez la Plattner Combien d’argent Ici Ah Moi elle me payait trois cent vingt plus la nourriture je ne me laisserais pas faire comme ça Tu es marié Combien d’enfants t’as donc Tu vas avec un individu qui est marié ailleurs et a des enfants J’aurais honte moi car tu sais parfaitement quel genre d’individu c’est C’est un criminel tout le monde le sait Parce que tu es une mauvaise créature Parce que c’est un porc et qu’il a de la poigne Voulait pas de moi Il m’a flanquée par terre Comme s’il s’inquiétait de ça le type et le reste Il a juste envie d’y fourrer la queue Pour moi tu n’es qu’une traînée c’est tout Il s’est couché maintenant sans penser à rien On devrait le castrer Il se sent encore à son aise ici Ça va bientôt lui passer Oh la réjouissance Simplement le couper Après il pourra toujours aller voir s’il baise encore parce qu’il n’a rien d’autre dans la tête Sauf qu’il pue comme une truie Bruno a dit qu’il ne se lavait jamais Parce que là d’où il vient on ne se lave pas Il faudrait un pistolet on pourrait le faire gambader crois-tu qu’il saute bien Mieux vaut le castrer il s’en souviendra plus longtemps Après on l’arrose d’essence et on en fait cadeau à Marie pour son anniversaire Ce serait un beau spectacle Elle a pleuré parce qu’il lui donnait du plaisir Le producteur a dit que j’avais une voix aussi bonne que celle de Catharina Valente et qu’il fallait que je vienne définitivement à Munich Parce que tu sais déjà chanter Qu’une illusion te soit permise Je chanterai et tu le verras à la télévision et tu en pueras littéralement d’envie Si je pue de la bouche tu es déjà mangée aux vers Avec un âge biblique comme le tien on n’a plus qu’à se taire C’est moi qui te le dis Contre Eric Pourquoi Et ils ne l’ont pas secouru Exactement parce que ce sont de mauvais hommes ces étrangers Parce que je suis bâti et que je sais me couvrir autrement j’étais mort Mais j’aurai ma revanche Avec le coup-de-poing américain et tous les amis parce qu’il faut lui expulser ça du corps On va fonder un gang contre lui Et qui ne suit pas est un ennemi et sera combattu de la même façon Pour que l’ordre revienne Exactement Elle doit quitter le pays parce qu’elle est responsable de tout Nous allons voir qui marche avec qui et ce qu’ils vont faire maintenant contre tous Il faudrait qu’il crève Et elle aussi Il n’y a que Bruno qui me cause du regret il trempe là-dedans aussi naturellement Sang du Christ abreuve-moi Eau de son flanc lave-moi Souffrance du Christ conforte-moi O bon Jésus exauce-moi Dans tes blessures cache-moi Près de toi toujours garde-moi Pour que je puisse te chanter Avec tous tes saints en toute éternité Amen J’ai acheté un coup-de-poing à Munich Je me contrefous du secret Fonçons et le plus tôt sera le mieux Mais pourquoi faut-il qu’elle l’emmène aussi à l’église Oui mais quelle religion Voici l’agneau immolé le sacrifice accompli nous avons O Dieu contemplé ta puissance et ta grâce infinies On n’a rien avec rien Va falloir que ça craque à un moment ou à un autre Ce n’est pas une raison pour attendre J’irai lui causer après à Elisabeth Il lui sera bien dit le genre de femme qu’elle est Notre porte est marquée de sang Car il est l’agneau pascal qui pour nous rôti d’un ardent amour Chaque pute à nègre chez nous a des seins de caoutchouc mais les gens de notre espèce n’ont rien eux Toi en tout cas tu peux faire ce que tu veux parce que les gros tu étais leur poule Pour vouloir ils auraient bien voulu mais nous avons de l’honnêteté Nous ne sommes pas à la disposition de n’importe qui Tu t’es fait venir un travailleur immigré tellement t’es attirante Pour ton lit la différence est mince Chaque pute à nègre chez nous a des seins de caoutchouc On cause avec elle On ne lui dit pas un mot Tu auras le temps de comprendre quand tu chercheras tes os Parce qu’il a semé le désordre parce que nous voulons notre tranquillité La paix c’est important pour nous Ne fais pas l’insolente si j’avais un communiste à la maison Sales mes mains regardez donc un peu Pas sales du tout Et si elles sont sales jamais elles ne pourront l’être autant que les tiennes Parce que tu ignores toute honte Parce que tu ramasses tout ce qui traîne Et tu ne regardes jamais que les mains des autres Maintenant je vous le zigouille le communiste Laisse tomber il y a danger J’en suis pas encore réduit à tout accepter non Une autre fois on le rencontrera seul C’est inévitable alors Les choses sont comme elles sont tu ne peux rien y changer Dans cinq semaines ils m’enregistrent mon premier disque parce que ma voix est suffisamment au point maintenant Je ne sais pas encore Mais c’est un homme très gentil Des photos de moi doivent être faites aussi Exactement Dans tous les journaux Toutes mes économies y ont passé Pour la carrière S’il te plaît On n’est jeune qu’une fois et après les chances s’évanouissent Après plus rien Et combien coûtent-ils Trois cents marks Mais il y a aussi les blousons amerlos Bleus Et derrière tu peux coller quelque chose Chicago Rockers et ainsi de suite Et chacun doit se procurer un coup-de-poing Avec ça en poche on se sent un autre Bruno suivra Il me l’a dit Et te marier Tu ne voudrais pas te marier Je ne sais pas Le mariage c’est quelque chose La régularité n’est pas à mépriser On ne sait jamais ce qui peut se passer Si tout le monde en cause c’est pas sans fondement Ce qui a été a été Ça est Tu as eu quelque chose avec lui Voilà ce qui a été Paul l’a flanquée dans l’eau Pourquoi dans l’eau A cause de l’enfant Pour qu’il parte Et alors Il n’est pas parti Mais elle elle a eu un choc Et Paul Il lui a demandé pardon Maintenant ils veulent se marier Moi je ne voudrais pas en entendre parler Et l’amour Non plus Parce que ça rend vieux Sans doute un simple accident Mieux que nous en tout cas Parce que c’est l’usage Tu es contente de ton étranger Te voilà devenue une trainée c’est tout Comme on peut tomber bas moralement Qu’est-ce qu’il a donc de mieux que moi Il faudrait t’occire toi avec ton caquet Tu ne dois causer ainsi avec personne parce que ça met tout le monde sens dessus dessous Quelqu’un t’a fait quelque chose Non personne ne m’a rien fait J’ai un coup de colère c’est tout Qui arrive donc là Truie salope pourquoi viens-tu par ici Tu crois peut-être que n’importe qui peut y venir Pourquoi restes-tu silencieux Tu me comprends parfaitement eh communiste Tu voudrais riposter Approche seulement Tu vas t’arrêter de causer Tiens voilà tiens Tu te rappelleras comme ça à partir d’aujourd’hui ça n’ira plus bien pour toi Exactement L’ordre doit revenir Exactement Sais pas j’suis parti Exactement Certainement Nous sommes ici chez nous c’est tout Ça m’a pris comme ça Je n’ai pas su comment Je ne voulais pas suivre Je ne sais pas du tout comment c’est venu Bah oui je déconne Non Oui mais elle n’y croit pas Elle dit que le mieux pour l’entreprise c’est ça Exactement parce que c’est ainsi Parce que nous produisons plus et qu’elle le paie six cent cinquante marks Il couche avec moi dans la chambre elle lui soustrait encore cent cinquante marks Exactement Et cent quatre-vingt de plus pour la nourriture Soit trois cent trente marks en tout Elle lui en verse donc trois cent vingt C’est le type de Munich qui lui a dit à l’office des travailleurs immigrés Il faut faire comme ça on produit plus s’ils sont là et l’argent reste dans le pays Exactement C’est une combine Et c’est pour l’Allemagne Et elle ne renverra personne qu’elle dit elle préférerait en faire venir un de plus Je n’y peux rien Je n’y peux rien Rien du tout Je n’y peux rien Je n’ai rien fait Et en mars je pars à l’armée Parce que c’est mieux que de travailler ici Là pas de problème Je voudrais un sous-marin parce que c’est autre chose que la campagne Tu es obligé d’aller où ils t’envoient C’est égal à vrai dire où on se retrouve


[5Purge

tu ne veux pas montrer ton visage pourquoi tu as honte pourquoi personne ne te connais ici tu ne veux pas me donner la main tu ne veux pas me donner la main alors démerde toi quatre-vingt trois pour cent des français osent l’avouer les jeux olympiques leur font peur our têt a cssée et preuze embre éanti pa acca ou tor dans un dern déses tique un ien qui rait ant à je temple gên plan misé sach au vrai quell ded quell ded émê et mê ssis tell a mal es troce mal es troce mal es troce que ati xa mess orce d’par et grès dmon mal par cide tan à ir core d’hu endemain m’aller aux ments rances lpe reute qu’a une ne trême l’op plein minant l’op plein immient s’n’est déjà teint cepe e lende iste core à la zion issant et déjà bie ce pouvu orté quell er que je ai bien pêché isé qu’e ce offr qu’e ce onnez qu me ra oid xist au sson onne âme et à te qu ce vou me onn p ma oif qu’ vou éparez


[6Shadoks Forever

Buzo meu Gaga zo bu gabuzo bu meugaga zo meumeu gazobu zo Bubu-Gaga Zo meugaga gazomeu zoga meu zobu zo bu gazo-gazo zogabuzo ga bubuga zo meumeu Zo ga zobu meuzo meubu zo bubu ga zozo meu zobu Bubu-Gaga ga buga zobu buzo gazo bubuzobu zo meumeu zobuga zoga zozo bubu Zozo bubu gagazo bu zogaga meu bubu-zobu Bubu-zobu zo buga meu bubu meu gabu ga meugazobu Zo meugaga zobu ga zo gaga bu zozo zo gabuzo Bubu-Gaga Bu gaga zobu meu bu meumeu gazo bu zo gabubu zo Buzo gabugabu ga meu zobu meu gabu ga Buzo meu Gaga Ga zo Buzo meu gaga ga meu zozo meuzo ga meu zobu Gaga gaga meuzobu zo Buzo meu Gaga Je haïs le sport Je haïs tous les sports et depuis toujours C’est une répugnance instinctive chez moi qui remonte à loin Sportif est à mes yeux une insulte La stupidité du muscle intensif le crétinisme de la force la niaiserie de l’exercice méthodique la sottise de la performance l’optimisme absurde du dépassement de soi Mais l’insanité suprême c’est le rêve sportif absolu de la grande fraternité des peuples qui se traduit automatiquement sur le terrain par son contraire radical c’est-à-dire par le chauvinisme le plus sordide Le sport est le moteur essentiel de cette société disneylandisée cette dictature qui contraint aux loisirs Qui songerait à se révolter contre une oppression qui ne communique au fond que l’ordre de s’amuser Une grande entreprise de dressage est en route rien ne l’interrompra Ce qui nous reste de civilisation est en train de se transformer en un gigantesque club de musculation L’humanité s’achève en survêtement adidas Ga bugazomeu buga zozo gaga Gaga bugazomeu Gaga bugazoga


[7L’Homosexuel
de Copi

Irina j’ai reçu une lettre de l’oncle Pierre Il est très inquiet à ton sujet Il se demande pourquoi tu as abandonné ton cours de piano Mme Garbo lui a retourné cinquante kopeks lui notifiant que tu n’y assistais pas depuis deux mois Irina qu’est-ce que tu fais entre deux heures et cinq heures Seule Par quarante degrés sous zéro Tu te promènes seule dans les steppes par quarante degrés sous zéro tous les après-midi depuis deux mois Tu es solide Tu sais ce qui nous arriverait si l’oncle Pierre venait à nous couper les vivres Tu hais le piano mais tu aimes les steppes infestées de loups Tu hais Mozart mais tu adores le mensonge Qui est ton amant Irina C’est le petit travesti blond qui habite chez Catarina la Grande Je l’ai reconnu malgré son grand chapeau à voilette Je le trouve assez vulgaire C’est la seule chose qui t’intéresse au monde De te faire baiser par un coiffeur à voilette dans les toilettes de la gare entre midi et cinq heures Il a une bite grande comment Il te baise debout Est-ce que tu l’aimes Irina Tu pourrais prendre tes cours de piano entre midi et deux heures Mais tu aimes le confort Tu sais ce qui va nous arriver quand l’oncle Pierre nous coupera les vivres Tu nous vois toutes les deux mendier dans les steppes Mange ta soupe Mange ta soupe c’est peut-être la dernière soupe qu’on pourra se payer On se fait baiser tout l’après-midi par quarante degrés sous zéro et on ne touche pas à une soupe chaude au dîner Qui t’a payé à manger à la taverne Lénine L’officier Garbenko Comme ça tu abandonnes les cours de Mme Garbo et tu te fais tripoter à la taverne Lénine par son mari Si on nous chasse de la Sibérie est-ce que tu sais où est-ce qu’on va finir Justement Au pôle Nord Mange ta soupe Tu nous vois toutes les deux dans un igloo entourées d’ours affamés Tu ne vas pas manger ta soupe Tu n’auras pas de dessert Tu ne serais pas enceinte lrina Tu es enceinte C’est le coiffeur ou l’officier Alors c’est qui On n’a pas baisé ensemble depuis des années Dans quel train Mais on avait les menottes Comment l’oncle Pierre Je vous ai laissés seuls pas plus de deux minutes Tu n’as rien mangé et tu veux aller aux toilettes Tu as envie d’avorter Viens que je t’aide Laisse-moi t’aider Pousse Pousse Montre Viens que je te lave Vous ici Il est dangereux de s’aventurer dans les steppes après le coucher du soleil Irina est souffrante J’ai un frère assez riche à Moscou C’est peut-être une de ces maladies qu’on attrape dans les steppes Mais elle va un peu mieux Je l’ai couchée avec une bouteille d’eau chaude sur le ventre Ils proviennent de Casablanca Ils sont tissés à la main C’est exact Non Ce n’est qu’un virus Elle va beaucoup mieux A poings fermés Nous ne nous trouvons pas en Sibérie pour les mêmes raisons madame Garbo Nous pouvons parler tant que vous voudrez C’est pas les paroles qui changent le monde Prenez un peu de mirabelle que ma belle-sœur m’a envoyé de Biarritz Qu’est-ce que vous êtes venue faire ici Je ne m’appelle pas Suzanne Je m’appelle madame Simpson Elle délire Non Elle dort Je connais bien votre genre de femme Madame Elle n’ira plus jamais à votre cours de piano Finissez votre mirabelle et partez Ce n’est pas une fille pour vous madame Garbo Ma fille n’est pas une bourgeoise Madame Nous traînons un lourd passé Ce n’est pas possible Et l’officier Garbenko Ma fille et moi avons changé de sexe par notre propre volonté Madame Maintenant bonsoir Oui madame Garbo Je vais la chercher Je l’ai fait sortir du lit pour que vous l’entendiez de ses propres lèvres Allez dis-le-lui Parle Irina Elle a perdu l’enfant madame Garbo Elle l’a chié votre saloperie de bâtard Et pas plus tard que tout à l’heure Je viens de l’enterrer dans la neige Faites Et maintenant vous pouvez partir madame Garbo Il n’y a plus rien entre vous et ma fille Et toi va te coucher Vous voulez que je vous foute dehors avec un coup de pied au cul Tu vas sortir d’ici ma salope et en vitesse si tu veux pas avoir les dents en marmelade en moins de deux Elle n’a rien mangé ce soir Regardez comme elle est pâle Et tout ça par votre faute D’ailleurs il était peut-être même pas à vous le gosse Elle se fait sauter par tout le monde allez savoir à qui était le spermatozoïde Elle elle prétend que c’était à moi Allez mange ta soupe Irina mange ta soupe Irina tu auras la fessée II y a des jours où je lui foutrais des baffes Vous avez vu Et vous prétendiez que l’enfant était à vous Irina tu as dit qu’il était à moi Tu as dit quatre mois Ah non attendez Puisque vous êtes venue lui faire une déclaration d’amour vous allez la faire Et tout de suite Parce que vous nous preniez pour des bourgeoises à la gomme madame Garbo vous preniez la petite pour une connasse bourgeoise comme vous qui aurait passé sa vie avec son gros derrière assis à côté du vôtre en train de jouer le piano à quatre mains hein Mais allez-y osez regardez-la bien en face regardez-la allez cherchez-y du romantisme vous qui êtes si sophistiquée Il avait pas plus de dix ans qu’il allait déjà se faire prendre par les Arabes du côté de la Huchette Regardez-la bien en face votre élève de piano la plus douée Mais demandez-moi sa main allez gouine osez demandez-moi sa main gouinase allez-y Tu veux que je fasse les valises Irina II n’y a pas beaucoup de place dans un traîneau Prends mon manteau qui est plus chaud que le tien et un filet avec tes poupées arabes Tu n’auras besoin de rien là-bas Tu les as sur toi chérie Je vais te chercher tes poupées Allez accompagnez-la vous-même comme ça vous vous habituerez Si je la connais Regardez vous sentez comme ça pue Elle a déjà chié Viens que je te lave Et tu voulais emporter les culottes de l’oncle Pierre Elles doivent être dans un état tes culottes Vous sentez comme ça pue Allez prenez un peu de mirabelle Vous avez vu Elle arrête pas Elle en fait des manières Mais lrina qu’est-ce qui te prend C’est pas la première fois que je te lave non Mais lrina est-ce que tu te rends compte que tu dois prendre le transsibérien qui est plein de gens distingués et que tu pues comme une charogne Si tu comprends tout tu n’as qu’à te laver cochonne D’ailleurs vas-y toute seule moi j’en ai marre de ta merde Quelle croix Viens Irina moi je sais comment te laver Il y a dix ans que je te fais ça Qu’est-ce que ça peut vous foutre Vous n’auriez pas dû la laisser toute seule Elle est capable de faire une bêtise Il y a mille façons de se tuer Rien qu’en ouvrant une fenêtre pendant deux minutes elle crèverait d’une pneumonie Qu’en savez-vous Non Ça ne me dit rien de partir en Chine avec vous madame Garbo mais je vais vous accompagner jusqu’au chemin de fer Je ne vous fais pas assez confiance pour la protéger des loups et des cosaques D’accord Je vais faire mes valises Je vous avais dit de ne pas la laisser toute seule Regardez ce qui lui est arrivé Elle s’est cassé une jambe C’est votre faute Comment voulez-vous qu’on l’emmène en Chine dans cet état Et comment Elle est complètement fracturée sa jambe Quand est-ce qu’il va arriver votre mari Regardez-moi ça si elle est pas conne Je vous l’avais bien dit qu’il ne faut jamais la laisser seule Et maintenant qu’est-ce qu’on va faire Le docteur Feydeau Vous êtes pas folle non Il l’a déjà soignée pour une conjonctivite et il l’a laissée à moitié aveugle Irina tu ne peux pas voyager comme ça Vous avez vu comment elle est Je vais chercher le fouet tu vas voir Je vais lui foutre une de ces raclées qu’elle va rester marquée toute sa vie Tu vas t’en souvenir je te préviens Baisse tes culottes salope Je vais te mettre les fesses au rouge vif Tu es contente là Comme ça elle aura deux fractures au lieu d’une Et vous en verrez d’autres croyez-moi Maintenant tu peux partir en Chine salope Je n’ai pris que l’indispensable Il n’est pas arrivé le traîneau Il aurait pas eu un accident Avec les loups Regarde lrina La vis de ton réticule Que tu cherchais l’autre jour la vis qui soutenait la petite chaîne de ton réticule je l’ai trouvée derrière l’armoire Et la chaînette où est-ce que tu l’as mise On en achètera une autre en Chine Vous en prendrez une autre de mirabelle madame Garbo J’en prendrai une goutte moi aussi pour le voyage Ne vous gênez pas madame Garbo Irina qu’est-ce qu’il faisait ce poignard dans ton réticule Regardez elle avait un poignard dans son réticule Ce n’est pas un poignard ça Qui Qui Elle n’arrête pas de mentir Tu vas me dire la vérité Irina Je n’ai pas le droit de lui demander pourquoi elle a un poignard sur elle Qu’est-ce que tu voulais faire avec ce poignard Où est la souris La souris que tu avais dans la cage sur ton lit Ne fais pas l’idiote Tu l’as tuée Qu’est-ce que tu en as fait Prenez un peu de mirabelle vous en aurez besoin Tu t’es mise la souris dans le cul Viens la chier Viens la chier Tu peux attraper des infections Dites-lui qu’il faut la chier C’est répugnant Elle ne peut pas garder ça Aidez-moi à l’amener Viens Tu peux Viens Je ne viendrai pas en Chine avec vous madame Garbo Je vous remercie mais je préfère rester ici J’ai mis toutes ses affaires dans un filet Je n’y ai mis que très peu de choses parce que j’aurai besoin du restant Si jamais vous me la retournez ne l’envoyez pas toute seule elle ne peut pas se suffire à elle-même Le traîneau est là madame Garbo Mes hommages Général Monsieur Oui officier C’est de la folie de partir maintenant madame Garbo Je vais dételer les chiens et on les fera dormir dans le garage Vous pouvez coucher dans mon lit moi je peux dormir assise Vous voulez que j’aille la chercher Qu’est-ce qu’elle a Mon Dieu Qu’est-ce que nous allons faire Appelez le docteur Feydeau madame Garbo Il ne marche pas Attendez Je vais aller le chercher Et s’il n’est pas chez lui Viens Irina Elle ne veut pas venir Elle veut venir en Chine comme ça Tu saignes beaucoup Ça ne peut pas se recoudre une langue madame Garbo Dis-moi oui ou non avec la tête lrina Tu veux partir en Chine comme ça Je crois qu’une langue ça ne peut pas se recoudre Marche Irina Elle l’avale Irina tu as mal Je crois qu’elle peut parler madame Garbo On dirait qu’elle n’entend pas lrina tu entends Elle entend Il est devant la porte Regarde ce que tu as fait lrina C’est inutile Elle n’ouvrira pas la bouche Elle ne se laissera pas recoudre je la connais bien Elle fait semblant de ne pas entendre Irina tu entends Elle entend tout Irina il faut te recoudre la langue Elle ne voudra pas Vous ne la connaissez pas Elle ne bougera pas tant qu’on ne lui promettra pas de partir en Chine Elle a peur du docteur Feydeau Elle ne marchera pas Quand elle décide de s’arrêter elle s’arrête Il faut l’amener en Chine comme ça madame Garbo Irina marche Marche Irina Attendez elle est en train de chier C’est sa jambe qui lui fait mal Elle veut dire quelque chose Qu’est-ce que tu veux dire Irina Attendez qu’elle chie Elle veut partir en Chine comme ça Et si c’était pas la souris qui lui aurait mordu le cul C’est pas sa langue c’est son cul C’est avec les dents qu’elle se la serait coupée Je la connais elle ne veut pas lrina arrête de saigner Irina arrête de saigner Elle le fait exprès Je la connais Irina marche Irina marche lrina marche Elle le fait exprès je la connais Elle a déjà passé une semaine sans marcher Puis tu t’es remise à marcher Irina tu t’en souviens Elle peut je la connais Marche Dites-lui que vous l’amenez en Chine Elle a peur du docteur Feydeau Marche Elle commence à bouger Tu vois comme tu peux marcher Poussez-la Attendez regardez elle ouvre la bouche


[8Les Larmes Rentrées
d’après « Mars » de Fritz Zorn

L’amour naturellement Celui à qui le mot amour ne convient pas n’a qu’à dire à la place sexualité La plupart des faits sont simples et connus de tous Ils ne deviennent significatifs que lorsqu’on en découvre la portée Et cette portée je l’ai finalement découverte On peut échouer de toutes sortes de façons ce n’est pas si grave Mais sur le plan sexuel on n’a pas le droit de rater C’est honteux et impardonnable Un homme qui n’est pas un homme n’est rien du tout Bien sûr on n’en parle pas ouvertement mais tout le monde le sait La sexualité compte plus que tout le reste L’honneur de l’être humain est fait de sexualité c’est la matière dont il est composé Et il n’existe pas d’autre honneur que sexuel Il faut appeler un chat un chat Je suis malheureux parce que je ne fonctionne pas et que je n’ai jamais fonctionné Jeune je n’ai pas été jeune Adulte je n’ai pas été adulte Homme je n’ai pas été un homme à tout point de vue je n’ai pas fonctionné Pour que ce non-fonctionnement soit visible aux yeux du monde entier voilà que mon corps ne fonctionne plus non plus il est malade il est empoisonné il est imprégné par la mort Ce non-fonctionnement cette mort la mort des sentiments la mort du corps la mort de la vie C’est logique c’est clair c’est simple c’est comme ça Un homme qui dévore tout son chagrin est dévoré lui-même au bout d’un certain temps par ce chagrin qui est en lui Moi je vais bientôt mourir du Cancer Le Cancer est une maladie du corps mais c’est aussi une maladie de l’âme Je ne peux dire qu’une chose c’est une chance qu’elle se soit enfin déclarée Les médecins savent un tas de choses sur le cancer mais ce qu’il est en réalité ils ne le savent pas Les médecins ne savent pas que toutes les larmes que je n’ai pas pleurées au cours de ma vie se sont amassées là dans mon cou et ont formé cette tumeur parce que leur véritable destination à savoir d’être pleurées n’a pas pu s’accomplir Oui ma tumeur c’est des larmes rentrées Le corps détruit spontanément la vie humaine quand on ne tient plus du tout à vivre cette vie Que les choses soient claires les tumeurs cancéreuses ne font pas mal par elles-mêmes ce qui fait mal ce sont les organes sains qui sont comprimés par les tumeurs cancéreuses La même chose s’applique à la maladie de l’âme Partout où ça fait mal c’est moi Mon individualité consiste en la souffrance que j’éprouve et l’immensité de ma souffrance finalement m’émancipe Aucun prix n’est trop élevé si ce qu’on acquiert par là représente une nécessité La chose la plus intelligente que j’ai jamais faite c’est d’attraper le cancer Ce cancer qui me dévore c’est ma famille c’est mon héritage C’est mon histoire Mon histoire est un rouage dans le mécanisme du bouleversement de la société Je ne suis qu’un tout petit rouage Mais une quantité de petits rouages c’est une machine Elle effectue quelque chose Je suis la cellule malade qui contamine l’organisme social Une molécule de la masse où le déclin de l’Occident se développe En ce sens je suis un révolutionnaire Je suis jeune Je suis riche Je suis cultivé Et je suis malheureux névrosé Je suis seul Je descend d’une des meilleures familles de la rive droite du lac de Zurich qu’on appelle aussi la Rive dorée J’ai eu une éducation bourgeoise et j’ai été sage toute ma vie Mon enfance Mais dans mon enfance tout va bien Tout va toujours bien On m’évite les problèmes Et par conséquent la capacité d’affronter les problèmes Un monde exclusivement heureux et harmonieux cela ne peut pas exister Et si le monde de ma jeunesse prétend être un pareil monde il faut qu’il soit dans ses fondements mêmes faux et menteur Ce n’est pas dans un monde malheureux que j’ai grandi mais dans un monde menteur Dans ma famille nous ne pouvons pas nous disputer nous ne savons même pas comment on s’y prend pour se disputer Tout le monde est toujours du même avis Aucun jugement personnel Au contraire toujours adopter les jugements des autres Tu sais moi je ne lis que de bons livres Je n’en possède pas d’autres Je ne sais même pas ce qu’est un mauvais livre Je me souviens un jour une fille de mon âge voit un livre sur un rayon de ma bibliothèque Elle me demande si ce livre m’a plu Je lui répond oui naturellement Elle déclare qu’elle n’a pas du tout aimé ce livre Je n’en reviens pas qu’un bon livre puisse déplaire cela dépasse ma compréhension Bon ce livre déplait à cette fille Je décide donc de le trouver moi aussi mauvais Je perds toute aptitude à la spontanéité dans le domaine des sentiments et des préférences et je gâche toutes les amitiés que je pourrais avoir parce que j’ai peur d’être éventuellement d’un autre avis que quelqu’un Telle est donc mon image du monde Il n’y a pas de conflits Il ne peut même pas y en avoir car les choses du monde glissent en se croisant sans la moindre friction dans un système d’où sont complètement exclus tous les rapports Et cette absence de friction est manifestement quelque chose de positif en effet là où il n’y a pas de friction il y a harmonie et là où il y a harmonie tout va bien Pauvre imbécile tu ne sais même pas que tu n’es pas situé au-dessus de ce monde sans friction mais que tu es toi-même un de ces machins suspendus dans l’espace froid irréel Compliqué le mot magique Chez nous le mot compliqué c’est le mot qui permet de mettre de côté tous les problèmes non résolus Il suffit de découvrir qu’une chose est compliquée et déjà elle est tabou Oulàlà c’est drôlement compliqué alors n’en parlons pas laissons tomber Chez nous tout ce qui est intéressant est toujours compliqué alors nous on n’en parle jamais Je m’habitue à ne plus réfléchir sur rien Je ne réfléchis plus Je deviens stupide Je deviens stupide comme mon père Mon père est incapable de mettre en relation des choses différentes Il dit que cela ne peut absolument pas se comparer et il laisse tout ainsi en suspens dans le vide Et surtout lorsqu’il s’agit de choses très voisines qui devraient justement susciter une comparaison Ma mère elle elle dit toujours ou bien Je partirai vendredi prochain à dix heures et demie pour Zurich ou bien je reste à la maison Ce soir il y a des spaghetti pour dîner ou bien il y a de la salade de cervelas Mais que devient la réalité Je m’en vais ou bien je reste à la maison Je suis là ou bien je ne suis justement pas là La terre est ronde ou bien elle est triangulaire Quand on dit trop de ou bien les mots perdent tout leur poids et tout leur sens plus rien n’est solide Tout devient irréel Attention que les choses soient claires Je ne veux pas dénombrer avec malveillance les faiblesses de mes pauvres parents afin de les faire passer pour les méchants qui me détraquent et auxquels il faut donc attribuer tout mon malheur Non mes parents ne sont pas les inventeurs de cette façon de vivre cette vie mauvaise acceptée sans esprit critique Personne n’est parfait Aucune éducation ne peut donner des résultats parfait et les enfants eux-mêmes ne sont pas des créatures parfaites Cela fait partie de ce qui va de soi Le monde n’est pas parfait Ce qui est mauvais c’est le fait que je ne dois pas m’apercevoir de ce que le monde n’est pas parfait Mon éducation est parfaitement réussie Pendant trente ans je ne m’aperçois de rien Ce monde est mauvais non ce monde est menteur Le plus important dans les rapports avec les gens c’est la distance Les autres sont toujours plutôt des ennemis potentiels que des amis potentiels Quand il y a des invités chacun doit jouer un rôle Quand il y a des invités chacun doit jouer un rôle Mes parents font d’autres gestes que d’habitude ils parlent autrement que d’habitude ils vont même jusqu’à défendre d’autres opinions que d’habitude Et surtout ils s’adressent à moi comme si j’étais un tout autre enfant Visite c’est quand on fait semblant Quand elle est invitée ma pauvre mère refuse le cognac ou le whisky qu’on lui offre et elle demande à la place un simple verre d’eau Mais elle se sent obligée de proclamer que cette eau est délicieuse Il lui faut trouver tout délicieux Le délicieux est sans valeur La vérité est sans importance seule compte la politesse Elle exprime ses éloges et ses remerciements pour de menus services avec des accents si exaltés qu’ils sonnent creux et se volatilisent dans l’irréel Elle dit au facteur que c’est admirable de sa part d’apporter le journal Mais c’est le métier du facteur d’apporter le journal on peut le remercier de nous l’avoir apporté mais admirable ça ne l’est pas Elle s’exprime aussi avec une clarté excessive comme si les gens étaient des imbéciles et elle parle plus lentement que d’habitude afin qu’on ai tout le loisir de saisir le sens de ses paroles Dans cette considération outrée et fausse dans ce respect vide et simulé le dédain s’entend beaucoup plus clairement Aujourd’hui mes parents ne vont plus qu’à des enterrements Même s’il est souvent question de rendre visite à un ami cher ou à une aimable connaissance par paresse ou par indécision la visite est indéfiniment reportée jusqu’au jour où la personne est morte Mais une fois qu’elle est morte mes parents y vont Aller aux enterrements eh bien ça se fait ça c’est bien Cette attitude est bien typique de notre monde plus on est mort plus on vous aime Tais-toi Ce que tu dis n’intéresse personne Tous les gens qui sont un peu différents de nous autres sont un peu ridicules ils font sans cesse exactement tout ce que nous nous efforçons tellement d’éviter ils montrent leurs points faibles Ils prennent le risque de se découvrir et ça c’est ridicule Celui qui fait quelque chose se rend toujours ridicule aux yeux de celui qui ne fait rien Ce qui est vivant est toujours ridicule car seul ce qui est mort ne l’est pas du tout Nous nous ne faisons rien nous ne disons rien nous ne défendons rien et n’avons aucune opinion Comme nous ne nous rendons jamais ridicules nous sommes tributaires des autres qui le font à notre place et nous divertissent de cette manière Nous trouvons les clowns sympathiques Ils nous font rire ce dont nous sommes par nous-mêmes incapables Nous considérons la vie avec cette bienveillance qu’on témoigne à un rhinocéros ou à une girafe dans un zoo Être simplement dans la vie cela nous ne le voulons pas La vie nous plait mais nous ne l’envisageons pas comme notre métier pour nous c’est un spectacle auquel nous assistons Chuttt Je suis très à l’aise dans le monde hypothétique des choses élevées mais la brutalité le côté primitif du monde corporel j’en ai peur Je n’aime pas bouger je me trouve laid et j’ai honte de mon corps Mais la plus grande honte je l’éprouve devant ma propre nudité Je crains aussi la souffrance et j’ai peur du sang je ne peux pas le voir je ne peux pas en entendre parler je ne peux absolument pas le supporter Le sang comme quintessence de la vie de l’existence du corps incarne tout ce que je ne veux pas savoir Le sang c’est moi-même Le sang c’est la vérité Et face à la vérité je sombre dans le néant On ne peut rien faire de moi Je suis différent je suis singulier je suis impénétrable J’appartiens à un tout autre monde Je suis une bête rare Un monstre Oui, un monstre mais un monstre dont on sait bien qu’il est parfaitement inoffensif et incapable de mordre Beaucoup de mes camarades ont une copine moi naturellement je n’en ai pas Je m’imagine qu’avec le temps j’en aurai une aussi Mais le moment est venu depuis longtemps où chacun a sa copine et où moi aussi je devrais en avoir une depuis longtemps Pour la première fois de ma vie je me rends compte que je suis coupable Coupable de négliger de faire ce que je dois faire Retournerai-je en discothèque Cela me paraît peu probable A quoi bon de nouveaux échecs Je préfère pisser sur le sable Et tendre ma petite quéquette Dans le vent frais de Tunisie Il y a des Hongroises à lunettes Et je me branle par courtoisie Je plaisante au bord du suicide Comme un fil près d’un trou d’aiguille Et si j’étais un peu lucide Je sauterais toutes les filles Et je ferais n’importe quoi Pour passer au moins une nuit Pour arracher un peu de joie Auprès de ces corps qui s’enfuient Mon sexe est toujours là il gonfle Je le retrouve entre les draps Comme un vieil animal il ronfle Quand je réutilise mon bras Que ma main connaît bien mon sexe Ce sont de très anciens rapports Rien ne la fâche rien ne la vexe Ma main me conduit à la mort Je me masturbe au Martini En attendant demain matin Je sais très bien que c’est fini Mais je ne comprends pas la fin Et tout seul dans la nuit je bande Autour d’un halo de douceur J’ai envie de poser ma viande Je me réveille je suis en pleurs La coupure entre moi et les autres s’élargit de plus en plus Par devant le bernard-l’ermite est joliment cuirassé et résistant mais son arrière-train est nu Il doit mettre à l’abri sa nudité vulnérable dans des coquilles vides Le bernard-l’ermite grandit et sa demeure devient peu à peu trop étroite pour lui Il est forcé de déménager Quel courage il lui faut pour se risquer à gagner une nouvelle maison en exposant son arrière-train à tous les prédateurs Moi je ne suis pas un bernard-l’ermite très courageux car je préfère dépérir au milieu de mes souffrances dans ma maison trop étroite Mais qui t’a autorisé à parler Contentes-toi de jouer ton rôle Je n’ai pas reçu au sens propre du terme une éducation chrétienne J’ai pourtant été élevé à plus d’un point de vue dans un esprit chrétien C’est à dire dans le refus catégorique de presque tout ce qui fait la vie Je suis un enfant qui n’a le droit de rien savoir sur la sexualité Et quand on peut penser que j’en sais quelque chose je suis censé être tout-à-fait au-dessus de ces choses-là Comme un vieillard qui ne peut plus rien en savoir depuis longtemps La sexualité ne fait pas partie de mon univers car la sexualité incarne la vie et moi je grandis dans une maison où la vie n’est pas bien vue car chez nous on aime à être correct plutôt que vivant Moi je suis trop correct pour être capable d’amour Je remplis toutes les conditions pour devenir quelqu’un de très malheureux Sitôt dit sitôt fait Je tombe malade C’est une des maladies les plus populaires de notre temps on l’appelle la dépression Jusqu’à ce jour elle ne m’a plus quitté Chacun sait ce qu’est la dépression Tout est gris froid et vide Rien ne fait plaisir et tout ce qui est douloureux on le ressent avec une douleur exagérée On n’a plus d’espoir Toutes les choses soi-disant réjouissantes ne vous réjouissent pas en société on est encore plus seul qu’autrement tous les divertissements vous laissent froid les vacances au lieu de vous changer les idées sont bien plus difficiles à supporter que les non-vacances Le monde est là devant moi gris et hostile Et il me faut à présent entrer dans la joyeuse vie d’étudiant Je suis pris dans un conflit de plus en plus envahissant entre le dedans et le dehors Apparemment je n’ai pas le moindre problème mais il m’est de plus en plus difficile d’intégrer cette apparente absence de problème dans ma conception du monde C’est que je veux être aussi à mes propres yeux un type sans problèmes Je veux être l’image vivante d’un non-frustré Alors plus je suis déprimé au fond de mon cœur plus je souris Plus noir le dedans plus blanche la surface Mon masque est convaincant Les gens croient que je suis vraiment tel que je crois être Je ne cesse d’espérer qu’un avenir lointain indéterminé dans le temps m’apportera l’accomplissement de tout ce que le présent ne peut accomplir pour moi Je me dis qu’ici à Zurich où il pleut tout de même sans arrêt je ne peux avoir aucun élan mais que pendant mes vacances d’été en Espagne où le soleil brille continuellement je commencerais à vivre Beaucoup de mes camarades sont déprimés parce qu’ils ont raté un examen mais moi je suis déprimé quoique j’ai brillamment passé le même examen Je ne veux pas voir la différence Contrairement à eux je n’ai pas de raison d’être triste et c’est justement là qu’est la différence c’est justement là ce qu’il y a d’anormal dans ma tristesse Mon âme est malade et je ne veux pas le reconnaître Je n’en peux plus Je suis fatigué Taisez-vous maintenant Je ne vais pas bien du tout Je ne veux plus rien réaliser Je ne veux plus rien réaliser parce que plus rien ne me fait plaisir Tu es capable toi de me faire plaisir Allez vas-y toi qui est si maline fais-moi plaisir donnes-moi du plaisir Un beau jour les dépressions ne sont plus là Mon cancer est arrivé mes larmes sortent C’est aujourd’hui C’est maintenant Je ne suis pas heureux à vrai dire mais au moins je ne suis plus que malheureux et non pas déprimé Il est évident que malheureux est moins grave que déprimé Celui qui pleure est malheureux le déprimé a déjà perdu la capacité de pleurer La dépression était faite d’une grisaille étouffante imprécise et omniprésente le nouvel état est d’une transparence glaciale et claire comme le cristal Je me trouve à présent face à la mort sous sa forme la plus concrète et je dois la combattre Mon destin quand il se rend compte que je ne peux absolument pas venir à bout de la vie se dit Bon puisqu’on ne peut rien tirer du vivre essayons donc le mourir En fait le pire n’est jamais le pire Tout est toujours très calme dans la maison de mes parents Nous sommes bien tranquilles Tranquille à tout prix Sinon quelqu’un d’autre pourrait être dérangé dans sa propre tranquillité Il faut agir maintenant Il faut déranger Il ne suffit pas d’exister il faut aussi attirer l’attention sur le fait qu’on existe Quelqu’un est mort On dit qu’il n’est plus là On n’ose pas prononcer mort Chaque chose a son nom la mort aussi a le sien Moi je ne serai jamais plus là je serai mort et j’aurais su pourquoi Je ne déteste pas mon père et ma mère Je haïs mes parents On doit haïr ceux qui vous tuent ne pas le faire serait une honte On n’a pas le droit de dire à celui qui vous tue je suis tout à fait d’accord pour que tu m’assassines On ne fait pas une chose comme cela Ça c’est aussi une morale Je me suis vu maintes et maintes fois précipiter ma mère dans l’escalier de la cave et ensuite cogner et cogner encore sa tête sanglante contre le sol de pierre jusqu’à ce que sa masse informe se dissolve dans une mare de sang Vision horrifiante Un acte absurde s’il avait lieu concrètement Mais il y a une certaine dimension où il n’est pas absurde et même où il doit avoir lieu Une autre vision Je fais sauter le Crédit Suisse à Zurich Pourquoi justement le Crédit suisse Tout l’argent que j’ai hérité de mon père est déposé dans cette banque J’ai besoin de cet argent pour payer mes nombreux médecins Je considère cet argent comme mes dommages et intérêts Je l’ai gagné plus amèrement qu’à la seule sueur de mon front je l’ai gagné avec les larmes de mes yeux je considère qu’il est bien gagné et qu’il est à moi Assurément l’endroit où se trouve mon héritage mérite d’exploser Mais tant que je suis malade je ne peux pas me permettre d’être fauché La substance maligne est logée dans mes os et on ne guérit pas les os avec de la dynamite Et maintenant pas un mot de plus sur mes parents J’ai vu ce qu’ils m’ont fait je les ai condamnés je leur ai pardonné et j’ai pitié d’eux Maintenant ils ne m’intéressent plus Ce qui reste c’est moi Un volcan explose en moi et ne pourra s’éteindre tant que je vivrai La nuit je ne peux pas dormir et baigné de sueur gémissant et hurlant je me débats dans mon lit je cours en rond dans mon appartement en criant comme un fou et j’insulte les murs de ma chambre C’est la douleur de l’âme sans voile et sans masque qui jette le corps de tous côtés dans un désespoir impuissant et sans issue Quand on est battu on crie Crier est irrationnel cela ne sert à rien et cela n’a pas de sens mais c’est plus ou moins dans l’ordre des choses que l’on réponde aux coups reçus par des cris Pour l’amour de qui devrais-je me taire Pour l’amour de qui devrais-je dissimuler l’histoire de ma vie Qui devrais-je épargner par mon silence Quand on marche sur une abeille même au moment où elle meurt elle vous pique encore au pied Cela ne lui sert plus à rien de piquer elle doit de toute façon mourir piétinée Mais elle a bien fait de piquer encore avant sa mort C’est ainsi qu’elles font les abeilles Moi aussi je me révolte contre ma mort imminente moi aussi j’ai horreur d’être exterminé moi aussi je pique encore avant de mourir Si je me tais j’épargne tous ceux qui n’aiment pas vivre dans un autre monde que le meilleur des mondes possible tous ceux qui n’aiment pas parler de ce qui est désagréable et ne veulent reconnaître que ce qui est agréable tous ceux qui refoulent et nient les problèmes de notre temps au lieu de les affronter tous ceux qui préfèrent vivre dans une porcherie non critiquée plutôt que dans une porcherie où l’on ose prononcer le mot porc Peu importe si je suis le seul à être démoli et cela n’a aucun intérêt de comparer entre eux les destins individuels Chaque jour je vois d’innombrables ratés des infirmes des abîmés à l’école dans la rue au restaurant qu’on les pousse dans un fauteuil à roulettes ou qu’on les transporte en ambulance que ce soit leur intelligence ou leur âme qui ait sombré leur nombre s’allonge à l’infini Cela ne sert à rien de se dire qu’on n’est pas le seul vaincu et que l’autre aussi a été frappé par un triste sort cela n’a aucune utilité ni pour moi ni pour l’autre L’un a eu la jambe écrasée c’est son problème Moi je suis névrosé c’est mon problème Chacun doit régler son propre problème Chacun est seul avec sa souffrance et sa solitude chacun a sa propre histoire Je ne suis pas ailleurs je suis ici je ne suis pas quelqu’un d’autre je suis moi et je me trouve au cœur de ma propre tragédie Cela ne sert à rien et cela ne vaut rien face à sa propre mort de mettre des lunettes roses et de se styliser en un être meilleur qu’on ne l’a été en réalité Si ce n’est pas vrai qu’on meurt entièrement réconcilié avec soi et avec le monde il ne faut pas le dire Moi face à la mort je ne peux plus que dire C’est raté Le monde de Dieu est mauvais Je haïs Dieu je veux qu’il meure constamment Je suis son cancer Dieu est le nom que je donne à l’ensemble de ce monde qui est tellement contre moi Parce-que je ne peux pas m’empêcher de ressentir la somme de tout ce qui est dirigé contre moi comme quelque chose de total et de nommer ce total avec le mot le plus total Dieu Mais Dieu n’est pas infini Dieu n’est pas partout Il y a des domaines où il n’est pas où il est fini où il a cessé d’être comme il y a des domaines où absolument tout ce qui me tourmente est fini Comment en est-on venu à l’idée que le Diable est quelque chose de mal cela restera toujours une énigme pour moi On sait très peu de chose sur le Diable c’est un élément beaucoup trop explosif Le Diable c’est l’adversaire Il a été précipité dans les abîmes de ténèbres On n’en sait guère plus sur lui Il est très fortement refoulé Il est ailleurs Il est en enfer Cela vaut la peine d’être en enfer L’enfer c’est là où Dieu n’est pas Je crois que le Diable est mon dernier et peut-être même mon seul recours Le Diable est lâché Et j’approuve Je n’ai pas encore vaincu ce que je combats mais je ne suis pas encore vaincu non plus et ce qui est le plus important je


[9L’Étang
d’après « L’Étang » de Robert Walser

J’aimerais presque mieux ne plus être nulle part que de rester ici dans ces conditions Ils font tous la tête Ah les beaux repas en famille On n’entend que le cliquetis des cuillères des fourchettes et des couteaux Pas un mot Rien que de timides chuchotements des coups de coude en cachette des rires réprimés On ne peut pas ouvrir la bouche sans craindre d’offenser le savoir-vivre A quoi sert un tel savoir-vivre Paul il peut parler bien sûr il peut tout se permettre Tout ce qu’il fait est beau sage comme il faut charmant C’est le meilleur gamin du monde On pourrait croire qu’il est le seul fils de sa maman et que maman n’en a pas d’autre Moi rien de ce que je fais n’est juste je peux m’y prendre comme je veux Bon si c’est comme ça qu’elle voit les choses grand bien lui fasse Si seulement quelqu’un voyait ce qui se passe en moi Si seulement maman pouvait une bonne fois voir au fond de mon cœur Elle serait peut-être étonnée elle verrait peut-être que moi aussi je l’aime un peu O Me voilà déjà muet Pas besoin du moindre mot Je le sais bien dommage seulement que personne d’autre ne le sache Je vais monter dans ma chambre et réfléchir à tout ça Sûrement que je vais me mettre à pleurer Qu’est-ce que ça fait Personne ne le verra Pleurer c’est seulement pleurer s’il y a quelqu’un qui est là et qui l’entend et après Je veux partir je veux partir mais Klara ma petite sœur entre en scène Qu’est-ce que tu fiches à traîner là-dedans Il faut bien que je sois quelque part Et d’ailleurs qu’est-ce que ça peut te faire Alors ça je vais le dire à papa Dis-le-lui J’ai pas peur de papa Ah bon Et si je le dis à maman T’as pas peur non plus Faut pas toujours cafarder c’est dégueulasse Je m’en fiche Qu’elle me foute sur la gueule Que le monde entier me foute sur la gueule T’es qu’une saI Qu’est-ce que je suis Une salope hein tu voulais dire une salope Une salope Ça je vais le leur dire ça je le dirai Et biensûr c’est à ce moment là que ma mère entre en scène Maman Maman Fritz il m’a de nouveau traitée de salope La Mère dit à Klara de se taire Et puis sans rien dire elle emmène Fritz dans la pièce d’à côté Ce salopard il va se prendre une morflée du tonnerre Faut dire aussi qu’il exagère Qu’est-ce qu’il s’imagine au fond Qu’on va jamais rien dire Qu’on va tout le temps fermer notre gueule Comme il gueule On dirait un bœuf qu’on mène à l’abattoir Un si grand gaillard Il devrait avoir honte C’est quand même dommage qu’on puisse pas voir la scène Chuuut Elle revient Fritz Viens n’aie pas peur elle est partie T’as dégusté hein Tu vas me le dire encore que je suis une salope Fritz sort sans rien dire Je me souviens Je suis dans la rue Un peu plus loin il y a Franz Heinrich Otto et d’autres garçons Ça fatigue à la longue de traîner dehors Mais j’aime pas rester à la maison Qu’est-ce que ça rapporte d’être à la maison Je peux pas rester tout le temps assis dans ma chambre Eh Fritz tu viens avec nous J’aimerais bien jouer et courir Mais Je ne peux pas m’empêcher d’y penser tout le temps Toujours à la même chose Il vaut mieux que je reste seul On t’a demandé si tu venais Fritz T’as pas d’oreilles T’as perdu ta langue Laissez tomber ce détraqué ce crétin-prétentieux allez venez on y va sans lui Assieds-toi par terre Fritz et observe le ciel espèce de vieille barbe Qu’ils courent qu’ils courent Au fond ça m’importe si peu si peu J’aime bien être seul C’est là que les idées vous viennent Personne ne vous dérange J’ai toujours l’impression d’avoir oublié quelque chose quelque part Je sais que ce n’est rien et ça me fait quand même souffrir Qu’est-ce que ça peut bien être Rien Facile à dire C’est quelque chose mais ce qui est bête c’est que je l’ai oublié Je veux suivre cette piste Je veux aller dans la forêt dans mon petit coin peut-être que ça me reviendra là-bas comme un papillon arrive à tire-d’aile Pourquoi au fond doit-on penser On doit on est obligé C’est tellement bête qu’on soit obligé à des choses On ne devrait pas être obligé C’est facile à dire, de nouveau Viens Fritz allons ensemble Je ne suis pas tout seul quand même Fritz est le copain de Fritz Je suis le meilleur ami de moi-même Mais je veux réfléchir dans la forêt à ce que je pourrais faire pour que maman Je me souviens d’une conversation que j’ai eu un jour avec Ernst un de mes amis qui est très malade Il me demandait si je n’aimerais pas mieux aller jouer et courir dehors avec les autres Ce serait plus amusant non Pas du tout Me tenir tranquille et parler avec toi c’est bien plus amusant Mais moi je voulais surtout lui parler de sa mère Moi je la trouvais gentille mais lui il trouvait ça tellement bête de dire ça Pourquoi est-ce qu’une maman ne serait pas gentille La tienne l’est certainement aussi pas que je sache Je n’ai encore jamais senti que j’avais une mère Sauf sur mes fesses C’est censé être une blague Comment pourrais-je plaisanter sur un tel sujet Ça vous fait passer le goût de plaisanter Ecoute tu supporterais toi que ta mère ne t’aime pas du tout Ça te serait égal Mais c’est stupide Une mère aime toujours son enfant La tienne sûrement t’aime aussi C’est des idées que tu te fais N’en parlons plus En fait ce qui serait bien maintenant c’est de raconter le moment où Paul et Klara mon frère et ma soeur ont compris Eh Paul Quoi Klara Où qu’il se cache Fritz Lui il est en train d’aller à l’étang là-bas en bordure de la forêt Il a dit Qu’est-ce qu’il aura encore dit Oh rien de spécial Il a dit qu’il allait se noyer Quoi Ben oui La vie il a dit c’est rien qu’une veste déchirée Il fallait qu’il aille la rapiécer Quoi La vie une veste J’aime pas dire les choses deux fois Il voulait aller rapiécer la vie Qu’il en était fatigué qu’il a dit Qu’il valait pas un pet Le reste je l’ai oublié Eh ben cours mais cours donc Où ça Mais à l’étang Ça me fiche la trouille T’es toujours là Pourquoi tu ne cours pas C’est sûrement pas sérieux de toute façon Et si c’était sérieux Tu devrais avoir honte C’est notre frère Après Paul est parti à la recherche de Fritz en courant Fritz Fritz Où es-tu C’est Moi Paul Ton Frère Ne fais pas de connerie je t’en supplie Reviens Reviens à la maison Je suis là on va parler tu peux tout me dire Je suis ton frère Merde On est tous très inquiets Où es tu Fritz Ce qui se passe ensuite se passe dans la maison Klara est couchée par terre elle pleure elle se lamente Si seulement il venait à présent Si seulement il venait Il ne peut quand même pas s’être noyé On fait pas des choses comme ça Ah si seulement il était là Je me laisserais volontiers traiter de salope Mille fois Pourquoi est-ce que j’ai toujours été si méchante avec lui Oh c’est mal Y a rien à voir Attends Assieds-toi Voilà ce qui s’est passé Fritz est arrivé au bord de l’étang Comme c’est calme ici Comme les sapins se reflètent dans l’eau Comme les branches dégoulinent en silence tout doucement On dirait un chant Voilà un lieu pour être bien triste et mélancolique Mais je ne suis pas venu ici pour pleurer Il faut que je me grouille Il retire sa veste Voilà Que la veste repose dans l’herbe Il jette son chapeau dans l’eau Et qu’une fois dans sa vie le chapeau apprenne à nager J’ai dit à Paul que j’étais fatigué de vivre que j’allais à l’étang Il aura bien compris La vérité c’est que moi aussi une fois au moins je veux me mettre un peu en avant Je voudrais savoir si maman est capable de se faire du souci pour moi aussi Je serais quand même curieux de voir si elle restera indifférente quand on lui dira que Fritz s’est jeté dans l’étang Paul va venir à toutes jambes et quand il verra le chapeau et puis la veste là et moi nulle part autour qu’est-ce qu’il pourra croire sinon que je me suis jeté dedans C’est sans doute mal de faire une frayeur inutile à maman Mais Le voilà Je l’entends Je grimpe sur un sapin et je me cache dans ses branches Paul arrive en courant Fritz Fritz Reviens Où es-tu Où es tu Fritz Fritz Oh Mais il est là couché là Apercevant la veste vide et le chapeau dans l’eau il se met à hurler et part à toutes jambes Voilà dans dix minutes ils seront au courant Alors on va songer à rentrer à présent Je commence à avoir un peu la trouille Bof Au pire je serai battu Je connais ça Depuis bien trop longtemps pour que ça me fasse encore peur Et puis pourquoi pas faire un petit détour Ce n’est que justice s’ils doivent un peu s’agiter pour moi une bonne fois et pleurer Ils vont pleurer et ça me fait bien plaisir Il récupère son chapeau à l’aide d’une longue baguette Il a bien failli se noyer ce chapeau Mais je peux être content de lui Il a fait son affaire Viens chapeau hop en selle Voilà Fier comme un Anglais Je me fais l’impression d’être vraiment très distingué Le diable m’emporte si je rentre avant ce soir Et maintenant je disparaît Disparaître cela peut être le motif de toute une vie le thème de toute une oeuvre le point d’ancrage de toute résurrection Si je ne suis rien alors je suis beaucoup Ce qui se passe ensuite se passe dans la maison Klara est couchée par terre elle pleure elle se lamente Si seulement il venait à présent Si seulement il venait Il ne peut quand même pas s’être noyé On fait pas des choses comme ça Ah si seulement il était là Je me laisserais volontiers traiter de salope Mille fois Pourquoi est-ce que j’ai toujours été si méchante avec lui Oh c’est mal comme on l’a traité Mal très mal Fritz mais viens viens donc Tu ne vois pas qu’à cause de toi on doit tous pleurer Toute la maisonnée est dans un état Mais viens donc C’est tout noir dans tous les coins Je vois tout noir devant mes yeux Fritz oh Fritz Méchant garçon gentil stupide garçon Oh Eh bien me voilà Eh Klara Qu’est-ce que tu fais par terre C’est toi C’est toi Fritz Tu ne t’es pas jeté dans l’étang Paul est pourtant venu en criant que tu avais sauté dans l’étang Qu’est-ce qu’il est con ce Paul Tu n’as pas dit à Paul que tu voulais quitter la vie Que ta vie n’était qu’une veste en lambeaux Que tu voulais t’en débarrasser Et tu ne sais pas qu’à cause de toi on a tous enduré des angoisses mortelles Qu’on t’a fait chercher partout Maman est hors d’elle Oui là-dedans Je n’ose presque pas entrer et lui dire que tu que tu es de nouveau en vie Oh ça va mal aller pour toi ça je peux te le dire Le père entre en scène Il est hors de lui Mener les gens par le bout du nez de cette manière Ce garnement ce paresseux ce Il faut lui briser l’échine à ce voyou On devrait le retirer de l’école L’envoyer à l’usine c’est ça qu’on devrait faire Ça n’a que des conneries en tête Mais je vais lui montrer moi à ce Maman est là Laisse-le Adolf Ne lui fais pas mal tu m’entends Laisse-le moi Je vais le punir tu verras Pourquoi as-tu fait ça Je je je Pourquoi es-tu allé dire à Paul que tu voulais te jeter dans l’étang Pourquoi Maman je Viens dans la chambre viens La mère prend Fritz par la main et l’emmène dans la chambre Klara reste seule Elle écoute à la porte On n’entend rien du tout C’est tout calme Qu’est-ce que ça veut dire Est-ce que c’est maman qui parle à voix si basse est-ce que c’est il y a quelqu’un qui pleure mais tout doucement Je ne comprends pas Je ne comprends pas Nous sommes dans La chambre La mère et Fritz à moitié sur ses genoux Mais comment aurais-je pu savoir ce qui est dans ton cœur Je ne peux pas te deviner Tu aurais dû parler Il faut parler si on veut être compris Tu vois j’ai été injuste avec toi J’ai cru que tu ne m’aimais pas le moindre petit peu que tu ne vivais que pour me faire de la peine Comme on peut se tromper dans ce monde Mais bon c’est bien à présent Dis quelque chose enfin Je ne peux pas Pourquoi tu ne m’as jamais rien dit Pourquoi tu ne m’as pas dit Maman tu es injuste avec moi maman je t’aime t’aime Oui pourquoi Pourquoi souffrir en vain et ne pas ouvrir la bouche Mais je pouvais quand même t’aimer en silence malgré tout ça Ne dis pas des choses pareilles Elle l’embrasse Ne dis pas des choses pareilles Elle pleure Mon garçon mon garçon que veux-tu faire de moi Faut-il que je tombe à genoux devant toi Faut-il Oh J’ai été injuste avec toi très injuste Mais je vais réparer cette injustice Nous allons la réparer N’est-ce pas que nous allons la réparer Désormais tout sera beau hein Nous deux nous serons comme deux amis Nous concluons une alliance tranquille et discrète Pas besoin d’en parler à papa Tu n’en parleras pas dis Je n’ai pas honte de faire un pacte de camaraderie avec toi depuis que je sais quel fort gaillard tu es Je sais à présent que tu es bon Tu n’en feras pas moins attention de ne pas manquer à tes devoirs et d’obéir Obéir est nécessaire Et nous les parents il faut bien qu’on vous apprenne à obéir à vous les enfants Mais tu es plus raisonnable que les autres enfants Avec toi on peut parler autrement Tu as beaucoup souffert Je t’ai fait beaucoup beaucoup souffrir Tu es déjà un grand un très grand homme Je parle sérieusement Mais c’est tellement étrange Je te parle comme à un adulte Et pourtant je te serre dans mes bras Pense donc sur mes genoux Oh mon garçon Mon gamin Tu ne peux pas savoir comme je te trouve beau Il n’est du reste pas nécessaire que je veuille te le faire savoir non plus Je voudrais bien être tranquille à présent J’aimerais bien rester seule un moment Va rejoindre Klara jusqu’au dîner Voilà Non reviens il faut que je t’embrasse encore une fois N’est-ce pas tu ne vas pas aller te vanter auprès de ta sœur et de Paul à présent Je veux dire de la manière dont je t’ai parlé N’est-ce pas Ce serait un péché Un péché si tu le faisais Tu ne le feras pas Je le sais Va maintenant Fritz sort Est-ce que je ne suis pas allée trop loin Est-ce que je ne suis pas allée trop loin Est-ce qu’on a le droit de parler ainsi à un enfant Non c’est sûr ça ne fait rien Une si belle chose ne peut pas être mauvaise La sincérité ne saurait être nuisible Y a-t-il quelque chose de changé entre nous Non ça ne doit pas m’inquiéter Je n’aurai pas à regretter d’avoir été sincère Voilà qui serait mal ça oui ça serait mal Quelqu’un l’aurait-il vu Personne ne l’a vu du reste de telles choses n’ont pas à être vues Mon fils c’est à genoux que j’aimerais te remercier de t’être dévoilé à moi Je vais gentiment entrer à présent et voir ce que font mes enfants La lampe est allumée La mère est restée dans l’obscurité Elle observe ses enfants Là cette tache d’encre c’est l’étang N’est-ce pas Cette tache elle ne pourrait pas être l’étang Bien sûr qu’elle peut Le couteau là c’est moi Et moi je suis quoi moi Attends un peu Klara Chacun son tour Regardez à présent le couteau à fromage s’attaque à la tache d’encre noire Non c’est la tache d’encre qui s’attaque au couteau Non c’est tout simple le couteau va dans l’étang C’est ça l’histoire Le couteau n’y peut rien C’est un couteau très sage Et à présent regardez bien voilà la fourchette qui arrive à toutes jambes Ouah comme elle galope Comme elle hurle quand elle voit que le couteau n’est plus nulle part Comme elle repart à toute allure Qui aurait cru qu’une fourchette puisse avoir des jambes pareilles La fourchette c’était moi Mais moi j’étais quoi Attends Klara Ton tour viendra A peine la fourchette repartie le couteau est sorti bien prudemment de l’eau boueuse s’est un peu nettoyé qu’il ait l’air propre et il rentre tranquillement Arrivé à la maison il voit une petite cuillère étendue par terre Klara la petite cuillère c’est toi si tu veux C’est vrai tu m’as trouvée couchée par terre Il est difficile de décrire le visage de la petite cuillère Et à présent l’histoire est finie Non pas du tout A présent il y a encore deux personnages A présent il y a le père qui arrive et après il y a encore la mère Je n’en sais pas plus Faisons plutôt une autre histoire. La mère à voix basse N’est-ce pas comme un rêve comme un conte de fées La lampe brûle comme une lanterne magique Je me tiens dans le dos des enfants comme une fée Il ne manque plus que la musique des contes Mais dans la tête on l’entend bien Il faut que j’écoute ô il faut que j’écoute Ce que mes enfants disent est si neuf aujourd’hui si différent Jamais je n’avais entendu ça Et ce n’est pas que je veuille n’aimer plus que mon Fritz désormais Non non Je les aime tous également c’est ce qu’il faut Ce qu’il faut Comme je me donne des injonctions à moi-même Comme si j’étais mon propre pasteur Bon mais je ne veux pas rester spectatrice plus longtemps Qu’est-ce que vous faites les enfants On fait des histoires maman Fritz il sait faire des belles histoires Mais où les prend-il toutes ses histoires Dans sa tête Maman sa tête c’est un livre plein d’histoires Le père entre et jette un regard sévère à Fritz Au lit les enfants il est tard Non non non pas encore dit la mère Je vais chercher une bouteille de vin à la cave On va rester debout encore un moment et bavarder ensemble N’est-ce pas Adolf Pour une fois ça ne fait rien Maman dit Fritz moi je veux bien aller chercher le vin à la cave Mais il faut que je t’allume à la cuisine dit la mère Viens Fritz et la mère sortent ensemble Papa est là Il bourre sa pipe Klara demande Où on en est de notre histoire Et Paul lui répond On en est là où ils sont sortis ensemble pour aller chercher du vin à la cave C’est ça la Fin